(1753 Paris 1809)
Portrait de Madame Delaval ou De La Valle,
née Adélaïde-Suzanne-Camille Larrivée (1763-1818)
Huile sur toile
77 x 65 cm
Signé : HP Danloux fecit et daté 1793, au milieu et sur la droite de la figure
Provenance : Resté dans la descendance du modèle, puis collection Stettiner, à Paris au début du XXe siècle
Bibliographie : R.Portalis, Henry-Pierre Danloux, peintre de portraits et son journal durant l’émigration, Paris, 1910, reproduit p. 218 (comme collection Stettiner)
Avec son Journal tenu par Danloux durant ses dix années d’émigration en Angleterre, entre 1792 et 1802, l’artiste nous livre un panorama passionnant d’une société déracinée, luttant pour maintenir son art de vivre et ses traditions, et, parfois, plus prosaïquement, pour survivre.
Les souvenirs de Chateaubriand décrivant sa condition parfois misérable, faite de désœuvrement, de privations alimentaires et d’abandon moral, en disent long sur le déclassement de la société aristocratique sur les chemins douloureux de l’émigration.
Écrit en collaboration avec son épouse, fille adoptive de l’intendant Antoine Mégret d’Etigny, dont la famille fut décimée lors de la Terreur, le Journal nous donne de nombreux détails sur la vie des artistes de la communauté française de Londres, et les amitiés qui permettaient d’obtenir commandes et leçons indispensables à sa subsistance.
Deux sœurs virtuoses faisaient partie des intimes du couple Danloux. Madame Danloux nous les présente ainsi, le 8 janvier 1795 : « La matinée, nous eûmes la visite de Mlle Larrivée, fille de Larrivée de l’Opéra. Elle a beaucoup de talent sur le violon et le piano.
Benjamin Laval (ou Delaval) vint également : il a épousé l’aînée des filles de Larrivée, très forte aussi sur le piano et la harpe : avec son talent, elle fait vivre son mari en donnant des leçons. »
Les sœurs Larrivée avaient vu le jour dans un milieu musical de très haut niveau. Leur père avait été distingué par Rebel, le directeur de l’Opéra de Paris, et s’était fait une spécialité des grands rôles de baryton du répertoire de Rameau ou de Gluck. Leur mère, madame Lemière, était également une soprano réputée.
Une société musicale cosmopolite dominait alors depuis Londres la scène européenne, avec l’Allemand Dussek ou encore le célèbre facteur de pianos, de clavecins et de harpes Erard.
Portalis s’interrogeait sur l’identité du modèle de notre tableau : « Qui faut-il reconnaître de Mme Delaval ou de Mlle Larrivée, dans cette belle personne aux cheveux blonds légèrement poudrés, très occupée à faire résonner les cordes d’une harpe, tout en regardant son auditoire de ses gros yeux bleus ? Nous aurions penché pour Melle Larrivée si la harpe n’avait été la spécialité de sa sœur ? La peinture reste amusante et la pose imprévue…Exécutée à Londres dans le courant de 1794, l’agréable peinture n’a qu’un défaut : la dimension de la toile ne laissa pas à l’artiste la liberté d’y peindre les mains, grave lacune pour une virtuose de la harpe ! »
Notre modèle est vraisemblablement l’aînée des deux sœurs, Adélaïde-Suzanne Camille Larrivée, née à Paris le 12 Octobre 1763 et décédée à Lyon le 20 Novembre 1818. Elle est restée célèbre, tant comme harpiste que comme pianiste et compositrice française établie à Londres. Elève à Paris, avec sa sœur, de Jean-Baptiste Krumpholz, elle fut engagée en 1790 par Johann Peter Salomon pour se produire en concert à Hanover Square et joua lors du premier concert de Haydn en 1792. Elle se produisit également à plusieurs reprises à Covent Garden et publia une cantate, Les Adieux de l’infortuné Louis XVI à son peuple, de la musique pour harpe et de nombreuses chansons françaises.
L’emploi d’une toile à chevrons, typiquement britannique, l’usage marqué du clair-obscur qui rappelle, entre autres, les œuvres de Wright of Derby, la pose spontanée et dynamique, la psychologie sensible du modèle, inscrivent parfaitement ce portrait dans le corpus de la période anglaise de Danloux. On y retrouve également l’intérêt de l’artiste pour l’étude des étoffes brillantes et des carnations vibrantes, ainsi que sa touche caractéristique, large, rapide et synthétique.
On peut rapprocher notre toile des portraits des sœurs d’Alpy, Bonne et Laurette. On y retrouve la même intimité entretenue par Danloux avec ses modèles.
Également exécuté à Londres, le portrait de Jean-Baptiste Hosten illustre l’intérêt de Danloux pour les effets lumineux et les mises en scène théâtrales, ainsi que sa proximité avec les riches colons des Antilles, une part essentielle de sa clientèle en Angleterre.
Biographie : Danloux reçut sa première formation dans l’atelier de Lépicié en 1780, puis dans celui de Vien, chez qui il rencontra le peintre David. Entre 1775 et 1780 il séjourna à l’Académie de France à Rome, alors dirigée par Vien. De retour en France, il s’arrêta un moment à Lyon où une importante école de peinture s’était développée. Il y exécuta plusieurs scènes de genre, avant de rentrer à Paris.
Il quitta cependant rapidement la France, se réfugiant à Londres pendant la Révolution. Il y resta de 1792 à 1802, continuant à peindre des portraits, comme celui du Comte d’Artois (Versailles, Musée du Château). Au contact des portraitistes anglais, l’art de Danloux devint d’une élégance plus sobre (voir le Portrait de M. Delaval, Paris, Musée du Louvre ou le Portrait d’Alexandre Lenoir, Versailles, Musée du Château).
Rentré à Paris sous le Consulat, Danloux s’essaya à la peinture d’histoire (Henri IV et Sully, Pau, Musée du Château). Il poursuivit sa série de portraits de gens de théâtre et d’artistes, commencée avant la Révolution. A la suite d’Aved, il s’en tint volontiers à des compositions sans apparat. Si sa Comtesse de Cluzel (1787; Chartres, Musée des Beaux-Arts) rappelle les morceaux délicats de Mme Vigée-Lebrun, il revint souvent à plus de simplicité, avec une sensibilité qu’illustreront de manière plus précise après lui Prud’hon ou Gérard.