(1756 Dijon – Florence 1795)
Bacchante et Satyre
Huile sur toile marouflée sur carton
40,5 x 33 cm
Encadré : 54,5 x 46,5 cm
Signé et daté en bas à gauche : « B. Gagneraux. 1789. »
Provenance : Collection particulière, France
Né à Dijon d’un père tonnelier, rien ne laissait présager que Bénigne Gagneraux deviendrait, durant sa courte vie, l’un des peintres les plus remarqués et demandés des villes de Rome et de Stockholm. Le jeune artiste eut la chance de vivre à l’époque où l’école de dessin de Dijon ouvrit ses portes, en 1765, sous l’impulsion du peintre et sculpteur, François Devosge. Ce dernier devint alors le maître de Gagneraux lorsque celui-ci entra, en 1770, dans le nouvel établissement. Particulièrement doué, il remporta, en 1776, le Prix de Rome, fraichement institué par les Etats de Bourgogne, et obtint une pension qui lui permit de parachever sa formation artistique dans la « ville éternelle ».
Vivant modestement, Gagneraux serait entré au service d’un fabricant d’éventails afin de subvenir à ses besoins, parallèlement à son activité de copie et d’étude. Il semblerait que sa renommée se soit répandue à travers toute la ville après qu’il fut tombé malade et que, miraculeusement sauvé, il dessina, en 1784, d’immenses esquisses de Bacchanales au fusain et à la craie blanche sur les murs d’une chartreuse romaine. La même année, le roi Gustave III de Suède et sa cour entreprirent un voyage à Rome et apprécièrent grandement la manière du jeune artiste. Le roi, notamment, lui acheta une large composition mythologique, Œdipe aveugle recommandant sa famille aux dieux, 1784, Stockholm, Nationalmuseum.
Néanmoins, il faut bien admettre que Gagneraux exprima bien mieux son talent à travers son thème de prédilection, pour lequel il est le plus connu : les Bacchanales et ses participants, du satyre à la bacchante, en passant par les amours. Le peintre aimait particulièrement représenter tous les membres du cortège de Bacchus, jouant ou dansant, aussi bien dans des paysages arcadiens qu’à l’orée des bois. D’ailleurs, la dernière œuvre que l’artiste peignit, Bacchanale, est manifeste de sa production, bien qu’elle laisse planer un doute sur le caractère volontaire ou non de son esthétique inachevée. En effet, la vie du peintre s’interrompit brutalement en 1795, lorsqu’il se trouvait à Florence, ville où il se réfugia à la suite des émeutes provoquées, à Rome, par la Révolution française. Ainsi, cette œuvre, relevant du même sujet que notre huile sur toile marouflée, démontre que les satyres et les bacchantes occupèrent l’esprit du peintre et son pinceau jusqu’à la fin de sa vie.
Ces scènes de fêtes bucoliques de divinités conquirent également les personnalités les plus éminentes de Rome. A l’instar de la cour de Suède, le prince Marcantonio Borghèse fit appel à Gagneraux afin qu’il réalise une toile destinée à orner l’un des plafonds de la Villa Pinciana. Cependant, le tableau rencontra un tel succès qu’il fut déplacé et accroché dans la Galerie Borghèse, aujourd’hui exposé au plafond de la salle XVIII, réservée à Jupiter et Antiope. L’œuvre eut un véritable retentissement, influençant des artistes comme le sculpteur Bertel Thorvaldsen, et lança la carrière, grâce à son estampe, du graveur Giovanni Folo.
Notre œuvre, de format plus réduit que ces grandes compositions, révèle aussi une touche plus vive et intime, proche de l’artiste, où les coups de pinceaux minutieux et généreux laissent apparaitre une matière veloutée.
Il s’agit certainement d’une toile réalisée pour un amateur, un collectionneur d’art des cercles romains ou suédois, qui désirait accrocher aux murs de son cabinet une œuvre de l’artiste français le plus coté, à Rome, entre 1780 et 1790. A ce propos, le sculpteur du roi Gustave III de Suède, Johan Tobias Sergel, passa commande auprès de Gagneraux, en 1784, pour un Satyre, Bacchante et Amour, aujourd’hui conservé au Nationalmuseum de Stockholm. Qu’il s’agisse de la touche, des dimensions, des couleurs ou du thème, cette œuvre se révèle très proche de la nôtre. Cela permet d’obtenir une idée convaincante des commanditaires qui pouvaient désirer ce genre d’œuvre.
Notre toile dévoile deux figures couronnées par un sarment de vigne, dansantes, dos à dos : un satyre, avec ses pattes de caprin, à gauche, et une bacchante, à droite. Cette dernière nous invite du regard dans leur danse enivrante, tandis que le faune se tourne vers elle pour suivre le rythme. Ils portent chacun un attribut de Bacchus, le dieu qui les anime : la grappe de raisin, symbole du vin et de l’ivresse, et la coupe, image sacrée de la libation autant que celle du buveur, du partage et de la fête. Les deux personnages célèbrent leur danse rituelle au cœur d’une nature calme et dégagée, où un vase en or, en bas à droite, se fait progressivement recouvrir par la vigne. Peut-être faut-il y voir un message caché ?
Dans tous les cas, et bien que sa vie fût courte, Bénigne Gagneraux sut, en partant de Dijon, se faire une place de choix à Rome, et auprès de tous ses visiteurs, telles les cours princières européennes. Sa place d’artiste lui permit d’endosser un rôle de témoin de son époque et de sa diplomatie, comme le montre sa célèbre toile, Le Pape Pie VI visitant avec Gustave III de Suède, la Galerie des Antiques du Vatican (1786), aujourd’hui exposée à la Galerie nationale de Prague.
L’acuité, la finesse et la richesse de la matière picturale qu’il parvint à élaborer sur ses toiles firent de lui un artiste de premier plan à la fin du XVIIIe siècle. A ce titre, notre huile sur toile marouflée, par son caractère plus intimiste et agile permet d’appréhender de façon plus ténue la virtuosité avec laquelle il concevait ces thèmes mythologiques qui lui été si chers et qui voyagèrent jusqu’à la cour de Suède, influençant de nombreux artistes comme Louis-Jean Desprez ou Adrien-Louis Masreliez.