(1877 Paris – Meudon 1957)
Vue de la basilique Santa Maria della Salute
Huile sur toile
53 x 73 cm
Signé et daté en bas à gauche : GEORGES LEROUX 1909, ainsi qu’au revers du châssis
Exposition : probablement Exposition Georges Leroux, Galerie Devambez, 1913, n°14 du catalogue « Eglise de la Salute (Venise) »
C’est à la suite de son Prix de Rome de 1906, obtenu pour La famille dans l’Antiquité, conservée à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, que Leroux effectua son premier séjour romain en qualité de pensionnaire, de 1907 à 1909. Ébloui par la lumière de l’Italie, le jeune parisien effectua tout au long de sa vie de nombreux voyages dans ce pays, qui le conduisirent de la Vénétie à la Toscane et de l’Ombrie jusqu’à Naples. De nombreuses toiles représentant des paysages italiens furent envoyées par Leroux en 1913 à la célèbre galerie Devambez, au 43 du boulevard Malesherbes, pour qu’elles y soient exposées. Notre toile y fut probablement présentée – figurant au n°14 du catalogue – du 8 au 22 janvier 1913.
Cette véritable institution, implantée au cœur du Paris élégant du début du XXe siècle, d’abord spécialisée dans le domaine de la gravure, exposa par la suite des artistes d’une modernité classique comme Leroux, mais aussi des maîtres de l’Avant-garde comme Picasso, Matisse ou de Chirico. Le journaliste et critique Henry Bérenger évoquait les 70 œuvres réunies par Leroux, des vues de l’Italie et de la Sicile, comme celles de « l’un des meilleurs élèves de l’école de Rome ». La galerie Nationale d’Art Moderne de Rome expose notamment la très grande Promenade du Pincio.
Cette reconnaissance officielle fut consacrée par de nombreuses commandes et achats de l’Etat, une participation à l’Exposition Universelle de Paris, en 1937, et une longue carrière à l’Institut. Cependant, il est important de souligner que le peintre et son œuvre se trouvèrent terriblement bouleversés après la participation de celui-ci à la Première Guerre Mondiale, faisant de ces paysages à la lumière onirique les témoins de la première partie de sa vie, encore baignée d’insouciance.
Si notre toile ne brosse pas une vue de la ville éternelle, elle représente l’un des monuments les plus emblématiques de la non moins célèbre cité des doges : la basilique Santa Maria della Salute de Venise. Leroux choisit comme lieu pour fixer le cadre de son huile, la fondamenta (rue qui longe un canal) de l’autre côté du Grand Canal, au sud du quartier San Marco. Le regard du peintre rase l’eau de la lagune, d’où émergent des bricole, ces poteaux servant à attacher les gondoles, typiques du Mole de San Marco.
Bien que l’artiste soit connu pour ses paysages lumineux dans lesquels l’air et tout ce qu’il charrie semblent bourdonner sous l’effet du soleil, notre tableau se révèle plutôt singulier dans une production majoritairement diurne. Ici, Leroux fit le choix de capturer les lueurs de l’aube ou du crépuscule, en laissant planer un doute, une imprécision sur ce moment, à travers une touche vibrante et des couleurs fiévreuses. A l’arrière-plan, l’ombre sourde et bleutée de l’église baroque du XVIIe siècle, tel un géant endormi, se devine derrière l’épais brouillard diffusé par la mer d’huile bouillonnante du Grand Canal. Seul un rayon vertical de lumière vient rationaliser cette atmosphère mystique. Pourtant, sa source reste absente de la composition, laissant le ciel baigner de pourpre l’ensemble de la scène. De l’autre côté, la proue d’une gondole surgit pour équilibrer la composition et offrir un repoussoir efficace, signifiant l’éloignement de l’autre rive, perdue dans la vapeur.
Le peintre représenta Venise à plusieurs occasions, notamment la vue, plus conventionnelle au regard de sa production, de l’île San Giorgio Maggiore, depuis la Punta della Dogana, juste à côté de la Salute.
Notre toile est donc une œuvre peu commune, sur laquelle Leroux exprima davantage une sensibilité mystérieuse, voilée et intimiste, loin de ses compositions éclairées par un ciel d’azur intense. Peut-être la lagune et les brumes envoûtantes de Venise lui inspirèrent une lumière plus dansante que celle du soleil accablant de la campagne et des villas romaines.
Un dernier élément, placé au revers de l’œuvre, se révèle particulièrement intrigant. En effet, l’étiquette ancienne collée sur le châssis de la toile permet de retracer l’identité du fournisseur auprès duquel Leroux a acheté son matériel afin de réaliser son œuvre. Il s’agit du marchand de fournitures artistiques Emilio Aickelin, installé au n°2378 de la Via 22 Marzo de Venise. Connu et apprécié des artistes britanniques en voyage dans la cité vénitienne entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, son échoppe constituait un lieu de rencontre et un point de passage incontournable pour le monde artistique anglophone de cette époque. John Singer Sargent peut, par exemple, être compté parmi les clients les plus fameux d’Aickelin.