(1815 Lyon – Paris 1891)
Cuirassier chargeant, Etude pour « 1807, Friedland »
(Metropolitan Museum of Art)
Huile sur panneau
39,5 x 29,5 cm
Monogrammé EM en bas à droite
1866
Cachet en cire de la vente Meissonier au dos du panneau
Provenance : Vente de l’atelier Meissonier, Galerie Georges Petit, Maîtres Chevallier et Duchesne, 12-15 mai 1893, lot n°63 vendu pour 7900 francs (v. dernière page) ; Collection particulière.
Bibliographie : Catalogue de la vente de l’atelier Meissonier de mai 1893, n°63, p. 19 : « Cuirassier chargeant. Sur sa bête brune élancée au galop, l’œil étincelant, le cuirassier, la tête penchée, lève son sabre, et joint de toute la force de ses poumons son cri à l’acclamation qui salue l’Empereur. C’est là l’étude qui a servi, dans le tableau : « 1807 », au cuirassier placé au mieux du premier rang. »
Issu d’une famille lyonnaise, Ernest Meissonier démontra dès son plus jeune âge un certain talent pour le dessin, même si son père préféra orienter son fils vers le commerce. Il entra malgré tout dans l’atelier parisien du peintre Léon Cogniet vers 1833-1834, où il développa une touche picturale précise et découvrit la peinture d’Histoire, genre dans lequel il excella à partir des années 1860, recevant tous les honneurs grâce à ses scènes militaires.
La première partie de la carrière de Meissonier se composa majoritairement de scènes de genre, dépeintes sur des panneaux ou toiles de petit format. Très influencé par l’école hollandaise du XVIIe siècle, il représenta avec beaucoup d’esprit, une extrême minutie et une fidélité historique – notamment pour ce qui est des costumes – les moments de la vie quotidienne des siècles passés : des joueurs d’échecs aux fumeurs de tabac, en passant par un lecteur bibliophile et le partage d’un verre de vin autour de la table d’un curé.
Bien que de format modeste, les scènes de genre du peintre suscitèrent rapidement un engouement impressionnant, visible à travers la cote de l’artiste qui ne cessa de croître en flèche à partir de 1841. Les éloges des critiques et la reconnaissance, provenant aussi bien de ses pairs que des commanditaires, conduisirent l’Etat à lui passer une première commande officielle en 1859, sous l’influence de Charles Blanc, directeur des Beaux-Arts. Les Archives nationales conservent d’ailleurs une note (F21-98) relative à la réussite de l’artiste :
« M. Meissonier est un homme dont le merveilleux talent est aujourd’hui de notoriété dans le monde des arts. Ses petits tableaux le disputent aux meilleures toiles des maîtres hollandais et cependant le musée du Luxembourg qui est destiné à recevoir les chefs-d’œuvre des peintres vivants de notre école, ne possède pas un seul ouvrage de M. Meissonier. »
Ainsi, la toile Napoléon III à la bataille de Solférino (musée de Compiègne) fut livrée, cinq ans plus tard, pour la somme remarquable de 20 000 francs. Le succès et la fortune du peintre lui permirent de se faire construire un magnifique hôtel particulier, entre 1874 et 1877, dans le 17e arrondissement de Paris, au 131 boulevard Malesherbes. L’immense ouvrage fut détruit en 1894, remplacé par des immeubles de rapport.
A partir des années 1860, Meissonier devint une figure marquante du Second Empire – obtenant par exemple, le grade de grand-croix de la Légion d’honneur – et se concentra davantage à la réalisation de scènes militaires, aussi bien des tableaux que des sculptures, modelées pour certaines afin de saisir au mieux le mouvement et le volume de la musculature des chevaux qui peuplaient ses champs de bataille.
Notre huile sur panneau fut brossée dans la même démarche. Il s’agit d’une étude pour l’un des cuirassiers du premier rang au milieu à droite de l’une des plus remarquables compositions du peintre : 1807, Friedland. L’artiste, empreint d’une méticulosité sans précédent, multiplia les études pour saisir au mieux les protagonistes et leur monture dans les premiers instants de la charge. Considéré comme un peintre historien, Meissonier est connu pour la rigueur avec laquelle il représentait les costumes, qu’il collectionnait d’ailleurs avec passion. Son implication se manifestait également à travers les témoignages d’anciens combattants des guerres napoléoniennes qu’il recueillait pour recréer avec le plus de fidélité possible les scènes qu’il peignait.
Contrairement à la matière léchée que le peintre avait l’habitude de distiller dans ses scènes de genre suspendues où régnait un sentiment de confort, notre étude révèle un pinceau particulièrement vif et nerveux. Il est possible d’apprécier l’aisance et le plaisir avec lesquels Meissonier utilise la couleur sans dessin préalable, comme un mode d’expression libéré, nécessaire pour saisir la fougue et la rage qui habitent le cavalier et sa monture dans un élan dynamique. Si d’autres études de cuirassiers et de hussards (guides chasseurs se trouvant sur la gauche de la toile du MET), ont été réalisées par l’artiste, la notre est l’une des seules à présenter le modèle et son cheval en entier et de façon aussi achevée. Le plastron du cuirassier est particulièrement rutilant, offrant un contraste saisissant entre cette source de lumière centrale et le bleu impérial des manches du costume. L’écharpe rouge sang vient rappeler la robe alezan de la monture qu’il a brossée grâce à une touche fluide, jouant avec virtuosité entre esthétique de l’inachevé et zones laissées en réserve.
Cette œuvre préparatoire constitue un témoignage vibrant des recherches picturales de l’un des artistes français les plus importants du XIXe siècle. S’il a pu être considéré, à la fin de sa vie comme un peintre « trop » académique – Manet disait d’ailleurs de la toile 1807, Friedland, que « tout est en fer, excepté les cuirasses » – Meissonier a su imposer sa touche fine et soignée, ses compositions réfléchies et mesurées ainsi que les histoires que ses œuvres dévoilées, face aux révolutions artistiques avant-gardistes de son siècle.
Notre panneau concentre à la fois l’expression de sa quête acharnée de fidélité historique ainsi que celle de dompter le mouvement équin, matérialisée par une manière de peindre véloce et sans entrave, rarement visible sur les œuvres de l’artiste. Enfin, cette étude est l’un des jalons de la création d’une œuvre majeure, achetée en 1875 par Alexander T. Stewart, un magnat du commerce irlandais installé à New York, pour la somme astronomique de 300 000 francs, ce qui fait de 1807, Friedland, l’un des tableaux les plus chers jamais vendu alors.