PHILIPPE-LAURENT ROLAND
(1746 Pont-à-Marc – Paris 1816)
Portrait d’Etienne-Charles Loménie de Brienne
(1727 – 1794)
Buste en terre cuite
H totale: 62 cm, L : 45,7 cm
Piédouche en bois peint à l’imitation du marbre
Vers 1791
Provenance : Collection particulière, France
Etalant « l’égoïsme ecclésiastique dans toute sa vivacité et l’âpreté de l’avarice réunie au plus haut degré à celle de l’ambition », « il fut tour à tour philosophe, architecte…et toujours intriguant, mais ce ne fut pas un évêque », écrit l’Abbé Caire au sujet du fameux Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, courtisan de haut vol et intime de la reine Marie-Antoinette. Réalisé à un moment charnière de l’histoire de France en pleine révolution, ce portrait de Brienne tout aussi saisissant qu’inédit – dont l’histoire n’avait jusqu’alors conservé de lui qu’un mauvais tableau d’après Jean-Baptiste Despax (Versailles, musée national du château, inv. : MV3001) ainsi que quelques représentations gravées – s’ajoute maintenant au corpus des œuvres du sculpteur Roland alors que l’artiste, à l’apogée de son talent, exécute ses œuvres les plus brillantes. Avant de rentrer plus avant dans la description de ce portrait éminemment politique, quelques précisions sur la vie de ce grand commis de l’Etat nous permettent d’en mesurer l’importance, entre les intrigues de la cour et celles de l’Eglise, ses relations avec les philosophes, son rôle comme contrôleur général des finances à la suite de Calonne ; enfin, ses dernières et tragiques années au cours desquelles Roland exécute ce buste.
Peu fortuné mais de très ancienne noblesse, Etienne-Charles Loménie de Brienne voit le jour à Paris en 1727. En qualité de cadet, ce dernier se voit destiné à l’état ecclésiastique. Après le collège d’Harcourt, Brienne est admis en 1748 à la Sorbonne à la faculté de théologie en même temps que Turgot, poursuivant ses études avec ardeur, considérant l’avenir avec une parfaite confiance et une ambition sans bornes, s’attachant des relations profitables afin de se faire distinguer, appeler aux bénéfices et à l’épiscopat. Quittant la Sorbonne après avoir soutenu son doctorat en 1752, Brienne devient grand vicaire de l’archevêque de Rouen. Nommé tout d’abord évêque de Condom en 1760, ses espérances sont enfin couronnées de succès avec son accession trois ans plus tard à l’archevêché de Toulouse, prêt à briller à la fois dans l’Eglise et dans l’Etat et à faire entendre sa voix. Avant même cette nomination, Brienne affirme très vite sa personnalité en particulier au sein de l’Assemblée générale du Clergé où il fait ses débuts en 1762. A l’occasion d’un sermon qu’il prononce au cours de la messe du Saint-Esprit, Brienne y clame avec force et majesté que l’amour de la patrie n’est jamais plus fort que lorsque la religion lui sert d’appui. C’est encore lui qui est chargé de porter la parole de cette Assemblée devant le roi au moment où l’opposition entre le Clergé et les parlements est particulièrement sensible.
Neveu de Madame du Deffand, Brienne devient un familier de son salon éclairé où se mêlent la bonne société et la curiosité parfois audacieuse de la philosophie. La seule présence de l’archevêque dans ce salon prestigieux – où d’Alembert a table ouverte – témoigne de ses bons rapports avec les philosophes. Fort de ses appuis, Brienne accède à l’Académie française le 25 juin 1770. A cette occasion, Voltaire écrit à d’Alembert : « On dit que vous me donnez pour confrère M. l’archevêque de Toulouse qui passe pour une bête de votre façon, très bien disciplinée par vous ».
Grâce à l’appui de Choiseul, notre prélat réussit à placer l’abbé de Vermont comme lecteur auprès de la reine Marie-Antoinette. Ce dernier prône l’archevêque en toutes circonstances avec tant de louanges auprès de la souveraine qu’elle lui obtient le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit qu’il reçoit le 2 février 1782, celui-là même qu’il arbore sur le portrait de Roland. A sa demande, Brienne, passe de l’archevêché de Toulouse à celui de Sens en 1783, beaucoup plus lucratif, avec un revenu en bénéfices de 678.000 livres de rentes, faisant de lui le prélat le plus opulent de son temps, après le cardinal de Rohan. (A titre de comparaison, ses parents ne bénéficiaient que de 15.000 livres).
Bien que poussé par la reine pour le siège épiscopal de Paris, le roi, méfiant et avisé de la piété douteuse de Brienne, suivant l’opinion qu’avait de lui feu son père le Dauphin, l’en écarte sans réserves : « Encore faut-il que l’archevêque de Paris croie en Dieu » aurait-il répondu vertement.
Qu’importe ! Devant l’impossibilité à résoudre le déficit chronique des finances de l’Etat face à l’intransigeance des parlementaires opposés à la moindre réforme, Louis XVI se voit contraint sous le poids de la panique financière de renvoyer Calonne et de mander Brienne à Versailles le 30 avril 1787. Nommé surintendant des finances puis principal ministre en 1787, semblant résumer à lui seul toutes les forces du pays – clergé, noblesse, magistrature, académie – Brienne se crut de taille à tout concilier.
S’il parvient à obtenir aux protestants le droit commun et le droit civil grâce à un édit de tolérance, l’archevêque échoue lui aussi dans sa mission à réformer le royaume. Irrité par l’opposition désespérée des classes privilégiées, il ne parvient qu’à exciter les aspirations libérales du Tiers-Etat avant de s’en faire un appui en envisageant la réunion des états généraux – dont il est l’un des principaux instigateurs – pour 1792. Il démissionne finalement le 25 août 1788.
S’ensuit pour notre homme un voyage à Rome où grâce à une recommandation royale Pie VI en dépit d’une certaine réserve personnelle lui obtient la précieuse barrette de Cardinal. Brienne quitte l’Italie à la fin de 1789 alors même que l’insurrection gronde, que la Bastille est prise et que le coup fatal porté à la noblesse tombe dans la nuit du 4 août. Le schisme de la Constitution civile est décrété le 12 juillet 1790. Brienne tente alors de se faire oublier à Sens, abandonnant la pourpre et la gloire ecclésiastique, acceptant au regard des circonstances du moment de n’être plus qu’un évêque d’institution civile. La foudre du Saint–Siège ne tarda pas à tomber. Ne pouvant servir deux maîtres à la fois, Dieu et Mammon, Pie VI, exprimant tout le mal que causa son exemple, excommunie le cardinal. A cette occasion, Beaumarchais adresse à l’ex-cardinal une lettre en date du 1er avril 1791 observant d’un ton dégagé qu’il faut « préférer à des chapeaux sans teste une bonne teste sans chapeau ».
Sobrement vêtu d’une redingote ouvrant sur une cravate nouée – le cordon bleu du Saint Esprit qu’il arbore sur la poitrine souligne seulement sa haute noblesse – rien de prime abord ne laisse présumer qu’il s’agit ici du portrait d’un évêque hormis la perruque propre aux ecclésiastiques. C’est d’ailleurs sans doute la première fois qu’apparaît ce type de présentation à l’opposé de toutes celles qui existent et qui furent exécutées dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Elle constitue une parfaite illustration des exigences que la Constitution civile du clergé, votée le 12 juillet 1790, impose à l’Eglise de France, réorganisant le clergé séculier vers une église nationale, les évêques comme les curés nommés par des assemblées électorales laïques de départements. Le 27 novembre de la même année, l’Assemblée constituante exige de tous les prêtres le serment de fidélité à la constitution du Royaume ainsi qu’à la Constitution civile qui s’y trouve incorporée (le décret est signé par le roi en janvier 1791). Toléré jusqu’en mai 1791, le culte réfractaire devient le foyer d’une opposition contre-révolutionnaire, l’Assemblée constituante faisant appliquer le décret concernant l’internement et la déportation des prêtres réfractaires.
En se pliant à de telles exigences sans même une calotte comme l’usage aurait pu le permettre, Brienne témoigne de son désir de se rapprocher du pouvoir révolutionnaire au travers d’un geste visible de tous. Mais, sur un ordre foudroyant de la Convention le 2 août 1793, Brienne est mis en état d’arrestation à son domicile et gardé à vue par voie de police et de sureté générale. Libéré le 15 août grâce à une supplique que l’ecclésiastique adresse lui-même à Danton par l’intermédiaire de Madame de Canissy, (nièce de Brienne), un revirement du comité décide précipitamment de maintenir son arrestation dès le lendemain avant que celle-ci ne soit définitivement levée le 30 août, après que l’intéressé se soit brillamment expliqué devant le comité des finances. Au milieu de ce temps de passions exacerbées où la vengeance et l’envie ont désormais libre carrière, Loménie passe du rang de premier citoyen de la ville de Sens à celui de premier des suspects. Le 9 novembre 1793, le voilà à nouveau saisi et jeté dans la maison de réclusion de Sens. Le malheureux n’obtient de rentrer chez lui que le 6 nivôse an II (26 décembre 1793), sous la surveillance d’un garde chargé d’empêcher toute communication particulière, échappant aux souffrances physiques d’une détention et plus encore au poids accablant du mépris des autres détenus. Si l’année 1793 se termine bien tristement, l’année qui suit voit sa longue et brillante carrière ainsi que la grandeur de sa maison s’effondrer, sa famille poursuivie. De constitution fragile, ne trouvant plus refuge que dans la solitude et ses précieux livres, Loménie de Brienne rend son dernier soupir le 16 février à la suite d’une crise d’apoplexie, échappant à la justice des hommes pour ne plus relever que de la justice de Dieu.
Que sait-on de l’activité du sculpteur pendant la période qui nous occupe, peu de choses en réalité. L’artiste continue son activité de portraitiste, genre dans lequel il excelle. Au Salon de 1789, il expose le portrait de Joseph-Benoît Suvée (Terre cuite, haut. : 64 cm. Signée et datée : Roland .F. 1788. Paris, musée du Louvre, inv. : N 15534), celui de sa future épouse, Mademoiselle Thérèse Françoise Potain (Terre cuite, haut. : 78,5 cm, Washington, The National Gallery of Art, inv. : 2003.43.1 – autre version en plâtre, Paris, musée du Louvre, inv. : R.F.. 4284), les portraits de Rosemarie Charlotte et de Pierre Camille Rousseau (Terres cuites, haut. : 57,1 cm et 61,5 cm, signée et datée pour l’une Roland 1788 : vente Christie’s, Londres, 11 déc. 2003, n°108, repr.. Très proche par sa manière du buste de Brienne, Roland exécute l’année suivante le portrait présumé du médecin de la reine Marie-Antoinette (Terre cuite, haut. : 63 cm. Signée et datée : Roland F, Avril 1790. Vente, Paris, palais Galliéra, 8 décembre 1964, n° 108, repr. . New York, collection particulière). Au Salon de 1791, c’est encore un portrait du Roi qu’il expose au Salon (non localisé ou plus vraisemblablement détruit). Après avoir largement bénéficié du privilège de travailler pour la couronne, Roland prend très vite la révolution en marche dont il épouse sans mal les idées puisqu’au même moment, en 1791, le sculpteur réalise un groupe colossal représentant le peuple terrassant le fédéralisme. En 1792, sur décision de la Convention, Roland est chargé d’ériger le monument de Simonneau, maire d’Etampes, tombé victime de son dévouement aux lois, et de 1792 à 1793 une statue colossale représentant La Loi, placée sous le péristyle du Panthéon. Le pli est pris, et sans nous étendre sur la suite de sa carrière qui retrouve un nouveau souffle sous l’Empire, revenons au buste de Brienne.
Ni signé ni daté, il est très probable que l’artiste l’ait réalisé au cours de l’année 1791, après que l’archevêque ait signé la convention civile du Clergé. L’absence de signature, chose courante chez l’artiste puisqu’on la retrouve sur nombre des portraits qu’il exécute est largement compensée par sa manière ample et souple dans la lignée de Pajou, très caractéristique de son style, que résume habilement Quatremère de Quincy : « Une invention sage, jointe à une exécution sûre ; un esprit juste qui trouve toujours ce qu’il faut dire, et la meilleure manière de le dire ; de la science sans ostentation ; une facilité heureuse, indication de ce sens droit, qui sait prendre la voie la plus courte : voilà ce que la nature, perfectionnée par l’étude, s’étoit plu à réunir en lui ». « Dans tous ses bustes – reprend David d’Angers qui suivit l’enseignement de Roland – empreints d’un singulier caractère d’authenticité, on remarque une puissance d’expression toujours contenue dans les graves limites de la statuaire, qui ne doit qu’indiquer les sentiments sans les rendre dans leur dernière extension. On ne saurait pousser plus loin la rigidité du trait, l’élégante pureté des contours, la netteté et la grâce : c’est toujours, si je puis m’exprimer ainsi, la stéréotypie de la nature à un haut degré ». Maniant l’ébauchoir avec une aisance et une souplesse parfaitement maitrisées, Roland s’inspire grandement de son maître Augustin Pajou pour la présentation de ses modèles, toujours dans la tradition du XVIIIème siècle, tant par la position détournée de la tête sur le buste, l’arrangement dissymétrique des plis des vêtements que par la description non idéalisée des traits du visage au « réalisme modéré » si habituel au portrait français.