(1800 Paris 1890)
Vue de la section autrichienne à l’Exposition Universelle de Londres de 1851
Crayon, plume, encre et aquarelle, réhaussé à la gouache
243 x 504 mm
Signé en bas à gauche : EUGENE LAMI
1852
(vendu par paire avec la Vue de la section russe à l’Exposition Universelle de Londres de 1851)
Provenance : Commandé par Anatole Demidoff, prince de San Donato ; Vente San Donato, 8, 9 et 10 mars 1870, n°324 ; Emile Boussod.
Exposition : Eugène Lami, Peintre de décorateur de la famille d’Orléans, musée Condé de Chantilly, 23 février – 19 mai 2019, n°38.
Bibliographie : Eugène Lami, Pierre-André Lemoisne, 1914, n°864, 870 et 871 (aujourd’hui réunis) ; Eugène Lami, Peintre et décorateur de la famille d’Orléans, Nicole Garnier-Pelle et Mathieu Deldicque, avec la collaboration de Caroline Imbert, Edition Faton, Les Carnets de Chantilly, 2019, n°38 reproduit p. 83.
Véritable profusion et étalage des richesses artistiques, comme industrielles, de la plupart des pays du globe, l’Exposition Universelle reste dans les mémoires comme le lieu du faste fantasmé de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècle. La première fut inaugurée en 1851 sur le territoire anglais, sous les grandes plaques de verre du Crystal Palace, construit expressément pour l’évènement par Joseph Paxton. Chaque nation qui avait les moyens de s’y présenter devait alors déployer, au sein de la section attribuée, une mise en scène soignée et spectaculaire, afin de dévoiler aux yeux du monde ses plus merveilleuses créations et innovations.
Quelques peintres, surtout aquarellistes, se firent les chantres de ce théâtre inédit. Parmi eux se trouvait Eugène Lami, dont le talent pour dresser le portrait des intérieurs était reconnu, au point d’élaborer pour le roi Louis-Phillipe, et la famille d’Orléans, les projets de décoration de la plupart de leurs résidences royales.
Son pinceau habile, capable de rendre toute la grâce des arts décoratifs attira donc des commanditaires prestigieux, tel le prince de San Donato, Anatole Demidoff (1812-1870). Riche diplomate et industriel russe, celui-ci possédait de vastes territoires dans les régions montagneuses de l’Oural, comptant de très nombreuses mines, notamment de malachite. Par sa position économique et politique privilégiée, Demidoff participa activement à la démonstration culturelle de la Russie durant l’Exposition Universelle et souhaita en garder le souvenir, en commandant à Lami une série d’aquarelles, dont fait partie la nôtre.
Dans cette série, les principales sections internationales sont particulièrement importantes et mises en valeur. Notre aquarelle est véritablement une ode à l’objet d’art et au mobilier, que l’artiste portraiture avec une aisance et un rendu remarquable.
Ici, la vue nous plonge dans la section autrichienne, dominée, depuis sa place centrale, par un lit imposant d’apparat à baldaquin de style Renaissance. Taillé dans le bois d’acacia, des colonnettes tournées délimitent des travées architecturales où prennent place deux niches garnies de statuettes d’Adam et Eve. Ce niveau est mis en valeur pas un double piédestal, assez sobre, élevant l’ensemble du corps avant du lit, tel un retable de bois sculpté. Un entablement richement ornementé, avec un frontispice en son milieu, vient couronner cette architecture et sert de base aux deux colonnes décorées de feuilles d’acanthe qui viennent supporter le baldaquin du lit. Les tissus qui le composent forment de somptueuses tentures de damas et de velours pourpres. Véritable chef-d’œuvre mobilier, ce lit fut réalisé par l’ébéniste Carl Leistler de Vienne (1805-1857), artisan au service du prince du Liechtenstein, Alois II (1796-1858). Reproduit dans The Art Journal de 1851, ce lit faisait partie du mobilier d’un appartement palatial commandé à Leistler pour l’Exposition Universelle.
A la gauche de la composition, sortant du cadre, comme une potiche de porcelaine, en raison de sa proximité et de sa hauteur, se déploie un somptueux lampadaire en bronze.
Dessiné par Bernardo de Bernardis (1807-1868), il fut fondu par la fonderie du prince de Salms à Vienne. Encore une fois, cette pièce exceptionnelle fut reproduite dans The Art Journal de la même année.
C’est le cas aussi pour l’élément assez massif qui se trouve en arrière-plan, dans la pénombre. D’une taille imposante et sculpté de façon recherchée, il s’agit d’un porte-tableau. Cette pièce de mobilier est visible au dernier plan, dans une autre salle, sur l’œuvre de Louis Hague (1806-1885), comparable à notre aquarelle, mettant en valeur et de profil, le somptueux lit à baldaquin précédemment décrit.
Enfin, le dernier objet de cette vue, sur la droite, dévoile tout l’éclectisme raffiné du mobilier, dont a su faire preuve l’empire Autrichien durant cet évènement. Exposé ouvert, un dressoir gothique couronné par un aigle doré, garni l’espace sur la droite, dans une tonalité rappelant celle de l’ébène, mise en valeur par la blancheur nacrée d’une potiche posée à proximité. Elle provient probablement de la manufacture de porcelaine de Vienne, imitant les modèles chinois, comme la première mentionnée à côté du lampadaire.
Lami réussit, dans son aquarelle, à donner à ces éléments de mobilier une intensité particulière, renforcée par l’avant du lit à baldaquin, rappelant un décor d’église. Un sentiment presque religieux, sacré, se dégage de cet agencement. La touche rapide et précise de l’artiste n’en est pas moins généreuse en détails et le jeu des couleurs, assez sobres et lavées, retranscrit à merveille l’idée du souvenir, rêvé, fantasmé, de cette première Exposition Universelle de Londres en 1851.
EUGENE LAMI :
Né dans une famille de fonctionnaires de l’Empire, Eugène Lami est marqué dans son enfance par les revues militaires, le spectacle des uniformes et l’éclat du régime impérial alors à son apogée. Il aurait même à 10 ans été vivement impressionné par une rencontre avec Napoléon lors d’une visite au Musée. Sa famille étant liée aux Vernet, c’est tout naturellement qu’il devient ami d’Horace, qui partage ses admirations et ses enthousiasmes.
En 1817, Eugène Lami entre à l’École des Beaux-Arts, où il suit l’enseignement de Gros aux côtés de Delaroche et de l’aquarelliste britannique Bonington dont il restera très proche. Il rencontre Géricault, Chateaubriand et Auber dans l’atelier d’Horace Vernet, qui est alors un centre de l’opposition libérale au régime. Il débute naturellement sa carrière artistique en tant que collaborateur d’Horace Vernet en illustrant la Collection des uniformes des armées françaises de 1791 à 1814.
Il participe pour la première fois au Salon des Artistes Français en 1824, avec une « Étude de chevaux » et y exposera chaque année jusqu’en 1878, sauf entre 1844 et 1847 période où il travaille à Chantilly. Décoré de la Légion d’honneur en 1837, il est promu Officier en 1862 et remporte une médaille de deuxième classe au Salon de 1855. Il visite Londres en 1826, passage obligé de tout artiste dit ‘moderne’.
Malgré ses opinions libérales, il est choisi pour illustrer le fameux « Quadrille de Marie Stuart », bal mémorable donné aux Tuileries par la Duchesse de Berry en 1829. Un des artistes favoris des Orléans et des Rothschild, Lami marquera de son empreinte l’histoire du goût et de la décoration en France, au XIXe siècle.