(1607 Naples 1656)
Portrait d’un jeune soldat
Huile sur papier marouflé sur toile
43 x 29,2 cm
Vers 1645
Cadre de style Italie XVIIème siècle
Bibliographie : Nicolas Spinosa, Aniello Falcone, e i pittori della sua cerchia (1625-1656), 2023, n°16, p. 105 ; La Pittura del Seicento a Napoli, da Caravaggio a massimo Stanzione , 2010, n°161, p. 253, reproduit
Le XVIIe siècle à Naples fut une période historique extraordinairement complexe. Sous la domination espagnole, la vice-royauté connut une splendeur culturelle absolue : le « siècle d’or de l’art baroque napolitain », mené par de fortes personnalités telles que Ribera, Luca Giordano ou encore Mattia Preti. Ce fut également le siècle de trois grands désastres qui frappèrent la capitale : l’éruption extrêmement violente du Vésuve en 1631, la révolution Masaniello en 1647 et la peste de 1656.
Après avoir débuté auprès de José de Ribera, qui l’initia à l’art du Caravage, Falcone développa un style personnel dont le naturalisme s’appuie sur une pratique importante du dessin. Bien que son séjour à Rome ne soit pas attesté, il fut certainement en rapport d’une part avec les œuvres de la période romaine (1629-30) de Velasquez, et d’autre part avec les peintres romains de bambochades (les Bamboccianti), et occupa à Naples une position analogue à celle de Pieter van Laer, développant ses dons exceptionnels de naturaliste et d’observateur attentif de la réalité dans une époque marquée par le caravagisme.Il prend part également, avec Viviano Falcone et Domenico Gargulio, à la réalisation d’une série de quatre grandes toiles représentant des scènes de la Rome antique pour le Palais du Buen Retiro à Madrid. L’une d’elles représente déjà des combats de gladiateurs au Colisée.
Bien qu’il réalisa aussi des compositions religieuses, Aniello Falcone est plus connu pour ses scènes de batailles tumultueuses, inspirées de la « Jérusalem libérée » du Tasse, peintes pour de grands collectionneurs napolitains tel que le riche marchand d’art flamand Gaspar Roomer (dont on trouve des exemples au Louvre, au musée Capodimonte de Naples et au Nationalmuseum de Stockholm). Il s’en fit une spécialité, faisant de lui le précurseur, à Naples, en ce genre. Micco Spadaro et Salvator Rosa, ses contemporains, le considéraient comme «l’oracle» de ce genre artistique, pour lequel il créa le schéma de la «bataille sans héros», où la violence des combats est traduite par une touche à la fois expressive et précise. À partir de 1640, ses compositions religieuses, notamment pour les églises San Paolo Maggiore et Gesù Nuovo de Naples, témoignent de plus en plus nettement d’une connaissance des tendances lumineuses et ordonnées du classicisme romano-bolonais..
Mais ce sont des années dramatiques pour les napolitains. Le peuple est exaspéré par le doublement des impôts et des taxes pour financer la guerre espagnole contre la Flandre et par leur militarisation forcée. Les troupes cantonnées entre le fort Sant’Elmo et la plaine du « Mercatello » sont prêtes à réprimer toute éventuelle protestation.
Salvator Rosa et Micco Spadaro, tous deux élèves dans l’atelier d’Aniello Falcone, firent partie, comme Masaniello, de la « Compagnia della Morte », créée par Aniello lui-même pour venger la mort d’un ami, battu à mort par deux soldats espagnols sous ses yeux. Lorsque le Royaume de Naples, après à peine deux ans de révolution, revint sous la domination espagnole, la Compagnia della Morte fut dissoute, et Aniello Falcone disparut, son atelier évincé au profit de celui de Luca Giordano. Falcone, avec Salvator Rosa, se rendit à Rome, où on l’incita à se rendre en France. Louis XIV devint l’un de ses grands mécènes puis Jean-Baptiste Colbert accepta la demande du peintre de retourner à Naples, où il mourut pendant la peste de 1656.
Publié en 2010 par le spécialiste d’Aniello Falcone, l’historien d’art Nicola Spinosa, notre tableau a longtemps été considéré comme un probable Portrait de Masaniello (1620-1647), ce révolutionnaire napolitain qui s’était insurgé contre la couronne espagnole. Cette possible identification provient du dessin à la sanguine, extrémement proche de notre esquisse, et qui en est vraisemblablement la première idée. Celui-ci, aujourd’hui conservé à la Pierpont Morgan Library, est en effet inscrit à la plume Ritratto di Masianello. C’est un probable croquis pour la figure du jeune combattant à cheval peint au premier plan dans la Bataille entre Juifs et Amalécites peint à fresque par Falcone, avec d’autres épisodes de l’histoire de Moïse, dans l’une des chambres de la villa de Gaspare Roomer à Barra.
Tout comme notre tableau, qui est une œuvre sur papier marouflé sur toile, le dessin est inscrit à son revers. Sur notre feuille, des écritures à l’encre brune transparaissent également clairement sur toute la moitié basse de notre portrait.
Si Nicola Spinosa n’a pas de doute sur l’attribution de notre esquisse, sa destination n’est quant à elle pas certaine, puisqu’il semblerait que l’artiste n’ait ensuite pas repris directement cette physionomie.
L’historien de l’art considère que notre esquisse pourrait également être une première idée pour la figure du jeune homme au premier plan à gauche, déplaçant une échelle, dans les deux versions du Siège de Jérusalem (Museo Donnaregina, Naples et collection privée, fig.4), également datables de l’époque des fresques de la Villa Roomer, vers 1640-1647.
Le morphotype de Falcone, que l’on retrouve bien dans notre esquisse, est présent dans plusieurs de ses dessins à la sanguine. On y retrouve les modèles la bouche entrouverte de manière à accentuer l’intensité de l’action.
Le fort contraste de notre esquisse, avec une peau claire se détachant sur un fond sombre est bien sûr hérité du Caravage et du maître de Falcone, Ribera. On le retrouve dans nombre de ses œuvres comme dans le très beau Jacob recevant la tunique ensanglantée de Joseph (fig.8, Musée National de Basilicata).