Cérès implorant la foudre de Jupiter après l’enlèvement de sa fille Proserpine
Huile sur toile
200 x 250 cm
Morceau d’agrément de l’artiste, en 1777
Exposition: Salon de 1777 (hors catalogue, connu par le croquis de Saint-Aubin et par des critiques)
Oeuvres en Rapport: Esquisse à l’huile (Musée des Beaux-Arts, Quimper), deux dessins préparatoires (Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris) ; un dessins préparatoire (Metropolitan Museum, New York)
Ce tableau nouvellement réapparu, doublement notable par ses belles proportions et par son historique, se trouve être le morceau d’agrément du peintre Antoine-François Callet. Nous sommes en 1777, l’artiste, alors âgé de 36 ans, est déjà un peintre connu et apprécié. Loin d’être un débutant, Callet a déjà été honoré de commandes prestigieuses, tel le plafond peint à fresque au Palazzo Serra de Gênes (1773) ou l’éblouissant décor du Salon de Compagnie du Palais Bourbon (1774). C’est un artiste en possession de tous ses moyens qui présente au Salon de 1777, hors catalogue, une toile très maîtrisée tant dans sa conception que dans sa technique et son coloris.
La composition, très travaillée, est l’aboutissement d’une pensée longuement mûrie dont on peut suivre l’élaboration à travers quatre dessins préparatoires connus ou documentés et une esquisse peinte conservée au Musée des Beaux-Arts de Quimper (Legs Silguy, huile sur toile, H. 0,31 ; L. 0,42). En 1993, nous avions consacré un petit article (Revue du Louvre et des Musées de France, n° 2, 1993, p. 52-58) à la redécouverte de cette esquisse préparatoire au morceau d’agrément de Callet, conservée alors sous une mauvaise attribution.
Nous avions alors pu, à travers cette esquisse, retrouver le souvenir d’un tableau capital que nous pensions perdu à jamais. La comparaison de l’esquisse et du tableau définitif nous montre que si la composition est déjà parfaitement calée sur l’esquisse, le peintre donne dans le tableau définitif une imposante majesté aux figures de Jupiter et de Junon qu’elles ne possédaient pas dans le travail préparatoire. Le personnage de Cérès, essentiel à la compréhension du sujet, apparaît agité de passion, dans le désordre très théâtral d’un visage baigné de larmes. Ce sont les deux figures majestueuses du couple de dieux qui donnent à l’œuvre cette solennité impérieuse, ce ton plein de retenu qui est la marque du « grand genre », propre à l’art de la seconde partie du XVIIIe siècle et dont Callet se montre, très tôt, un des très grands représentants. Les critiques ne s’y trompèrent pas en qualifiant le tableau de Callet de « grand de formes ».
Au plus haut de sa virtuosité dans ces années 1775-1780, Callet montre également ici une technique particulièrement éblouissante, tant dans les fins glacis des rendus sensuels des peaux, en particulier de celle du corps musclé de Jupiter, que dans la précision soyeuse de la chevelure blonde et bouclée de Cérès ou de celle, à demi blanche et blonde de Jupiter, rendues avec autant de soin que de réalisme. L’artiste travaille de beaux empâtements de matière donnant ainsi tout leur relief aux blancs éblouissants des manches de Cérès et, plus loin, sait alléger son pinceau dans un rendu illusionniste des nuées. Le coloris enfin, monochrome et mordoré dans la petite esquisse de Quimper, s’affirme ici dans de superbes oppositions de jaune d’or, bleu, rouge vif, rouge rosé sur la même figure de Cérès donnant ainsi encore plus de vigueur et d’agitation à la déesse éperdue. En regard, lui répond le seul rouge de la puissance jupitérienne subtilement associé à un bleu profond.
Nous avons là, tant par l’esprit que la forme, l’exemple d’un tableau magistralement réussi qui démontre brillement, comme le nota un des critiques du Salon de 1777 combien « M.Callet (…) est celui (de tous les artistes du Salon) qui annonce le plus d’âme et de feu ».
Brigitte Gallini
Mars 2008