Paris, 8 mai 1831 – Paris, 16 janvier 1893
Coffre à bijoux
Paris, 1855
Ivoire d’éléphant, laiton, acier, velours de soie (garniture moderne)
MARQUES : A. Moreau Fecit 1855 (sur la plinthe, au niveau de la base)
A.Moreau 1855 (à l’intérieur, au fond du coffret)
DIMENSIONS : hauteur totale : 60 cm ; base : 32 x 19,5 ; coffre : 45 x 30 cm
EXPOSITIONS : Présenté par « Moreau Père et Fils » à l’Exposition Universelle de Paris en 1855 et récompensé par une médaille de Première classe puis à l’Exposition Universelle de1867 (hors concours)
PROVENANCE : Resté en possession des parents de l’artiste – M. Jean Louis Moreau (1804-1868), puis, Mme Victoire Alexandrine Moreau (née Pérot), probablement jusqu’en 1872, date à laquelle le coffret est mis en vente publique (adjugé 2850 francs) à M. Beugnot (Hôtel Drouot, Paris, salle 2, 28 Décembre 1872, Me Charles Pillet (cf. Catalogue d’une jolie réunion de bijoux anciens, n°32 bis) ; Jean François Beugnot (Avallon, 1805 – La Nouvelle-Orléans, 1886), médecin infectiologue diplômé de la faculté de Paris, détaché à la Nouvelle Orléans, chevalier de la Légion d’Honneur (1854), collectionneur d’ivoires, collection particulière, France.
collectionneur d’ivoires, collection particulière, France.
L‘ivoire par sa nature compacte et résistante se prête admirablement à recevoir les formes les plus variées ainsi que le plus beau poli. Aussi, cette matière a-t-elle reçu les faveurs des hommes depuis les premiers âges de la vie. Toutes époques et cultures confondues, les ivoires sont autant l’expression du sacré que d’un rang princier, comme l’attestent les innombrables ensembles réunis dans les grandes collections privées et les musées. Au sein de ces collections, on distingue traditionnellement deux grands ensembles – les ivoires médiévaux (qui incluent les ivoires antiques tardifs) et les ivoires modernes – sur lesquels les historiographes se sont penchés, pointant par moment des temps forts alternant avec des périodes de déclin.
L’ivoirerie française bénéficia ainsi d’une renommée exceptionnelle au Moyen-âge – notamment Paris qui, du milieu du XIIIe jusqu’au début du XIVe siècle, occupe le premier rang pour sa production de petits sujets religieux. Dès la Renaissance, en revanche, et pendant toute la période moderne, elle est supplantée par les capitales des grands États féodaux d’Europe du Nord (Flandre, Allemagne du Sud et Autriche). C’est à Augsbourg, Nuremberg et Dresde que le travail des ivoiriers atteignit son expression la plus spectaculaire, en particulier grâce aux développements apportés au tour (machine-outil pivotant sur un axe horizontal ou vertical et servant à façonner des pièces de formes cylindriques), dont les productions les plus extraordinaires ornaient les cabinets de curiosité de l’Europe entière. En France la route de l’ivoire passe par Dieppe. Enrichie grâce au commerce ultra-marin, Dieppe fut ainsi pendant trois siècles le principal foyer de l’importation et du travail de l’ivoire en France – activité qui atteignit son apogée au XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, l’ivoirerie française est traditionnellement perçue dans son ensemble comme un domaine secondaire, faute d’une production présentant suffisamment d’intérêt artistique notamment face à la concurrence écrasante de la porcelaine. Ce propos mérite toutefois d’être nuancé compte tenu du travail encore à réaliser pour la fin du XVIIIe et la première moitié du XIXe siècle, qui constitue la période la plus négligée de l’ivoirerie moderne.
À partir de la fin de l’Empire, un faisceau de circonstances, économiques et conjoncturelles propices, associé à un changement profond du goût – sur fond de découvertes archéologiques et de débats théoriques intenses – favorisa progressivement un renouveau du travail de l’ivoire en France. Sous la Restauration, l’ivoirerie demeure encore un phénomène local, pratiqué par quelques grandes dynasties d’ivoiriers dieppois (les Bellteste, Blard, Norest, etc.), qui – en dehors de quelques pièces de commandes destinées à une clientèle aristocratique de passage – se consacraient le plus souvent à une production d’objets de piété ou empreints de pittoresque. À partir de 1830, une nouvelle génération, avec les ornemanistes Claude-Aimé Chenavard, Michel Liénard, Jean-Jacques Feuchère, Étienne-Jules Klagmann, les orfèvres Charles Wagner, Froment-Meurice, entre autres, chercha dans le Moyen Âge et surtout dans la Renaissance de nouvelles sources, afin de s’émanciper des voies trop longtemps explorées du néoclassicisme. Ce goût romantique, qui perdura jusqu’au début du Second Empire, va de pair avec une fascination pour les aspects techniques des œuvres du passé. L’ivoire, comme le bronze (que l’on redécouvre aussi au même moment), se pare des vertus de la modernité ce qui donne lieu à une série d’innovations techniques facilitant sa mise en œuvre ou son imitation. Voyant l’ivoire comme un matériau privilégié pour réaliser des tirages raffinés de leurs modèles ou des petits objets, les grands sculpteurs romantiques parisiens, Jean-Jacques Pradier, François-Henri de Triqueti et même David d’Angers, d’ordinaire plus habitué à un registre colossal, s’en emparèrent (autour de 1845), suivi par d’autres ; puis ce fut au tour des orfèvres d’intégrer l’ivoire à leurs créations et de proposer des pièces nouvelles alliant ivoire et matériaux précieux, comme la Léda dite « des artistes » en or, argent et pierreries, réalisée en collaboration avec Pradier et présentée lors de la première exposition universelle en 1851.
Comparable à maints égards avec ce qu’a connu l’émaillerie à la même époque, la renaissance de l’ivoirerie est un fait majeur de l’histoire des arts en France au XIXe siècle – phénomène dont on peut suivre l’évolution grâce aux pièces exposées lors des expositions des Produits de l’industrie nationales et internationales, dont la première fut organisée à Londres en 1851, mais également par le biais de celles présentées aux Salons dédiés aux Beaux-arts, ainsi qu’au travers des premières publications traitant de l’histoire de l’ivoire.
C’est grâce au traité rédigé par Louis Nicolas Barbier, « tourneur professeur » à l’occasion de l’exposition de 1855, que nous possédons le plus d’informations sur cet objet et son auteur, Augustin Edme Jean Moreau (1831-1893), dit Moreau-Vauthier. Récompensé par une médaille de Première classe en 1855, puis exposé à nouveau en 1867 ce grand coffret néo-renaissance, qui d’un point de vue stylistique s’inscrit complètement dans la tradition du goût romantique développé au travers des grandes commandes du duc d’Orléans, est unanimement perçu comme un chef d’œuvre de virtuosité et de sentiment artistique.
Associant en un seul et même objet l’ensemble des techniques de l’ivoirerie moderne (bas-relief, ronde-bosse, tabletterie), cette pièce constitue un jalon important dans l’histoire de l’ivoirerie française au XIXe. Présentée en même temps qu’un grand vase et un triptyque représentant les trois Vertus théologales. Il semblerait que le seul autre coffret de Moreau avec lequel celui-ci puisse être comparé est celui qu’il exécuta pour le mariage de Mme la baronne Alphonse de Rothschild, Léonora dite Laure de Rothschild (1837-1911), en 1847 et qui porte, sculpté en relief, la devise de sa famille.
Né à Paris le 8 mai 1831, d’un père ivoirier – le premier, dit-on, qui ait donné dans Paris une grande extension à la sculpture en ivoire, célèbre également pour sa maîtrise du guillochage (technique de décoration issue de l’orfèvrerie, réalisée au tour, pour laquelle Moreau père déposa un brevet de perfectionnement en 1844) – Augustin Moreau passa son enfance dans l’atelier familial de la rue du Petit Lion Saint Sauveur, dans le quartier Montorgueil, où il fit son apprentissage, suivant les traces de son père qui s’illustra lors des Expositions des produits de l’industrie en 1839 (mention honorable), 1844 (médaille de bronze) et 1849 (médaille d’argent), puis, ensemble, lors de l’Exposition universelle de Paris en 1855 et 1867. Désireux de progresser dans son art, il étudia aux Beaux-arts à partir de 1850 sous la direction du sculpteur Armand Toussaint (1806-1862) – élève de Pradier, qui collabora avec Simart pour la réalisation de la fameuse Minerve éburnéenne du château de Dampierre, commandée par le duc de Luynes en 1849 et présentée à Paris en 1855. Dès ce moment, le projet grandiose de poursuivre la restauration de la statuaire chryséléphantine, de rénover la technique suivie par Phidias pour l’Athéna Parthénos et le Zeus d’Olympie, c’était imposé à lui. La reconnaissance obtenue à l’exposition universelle de 1855 fut pour le jeune artiste le point de départ d’une brillante carrière de sculpteur, ponctuée par des commandes publiques pour les Tuileries et l’Hôtel de Ville notamment. Travaillant aussi bien le marbre que l’ivoire, c’est naturellement à travers ce matériau qu’il exprima le mieux son talent dans des œuvres qui forment un ensemble très caractéristique, présentées pendant trente-six ans au Salon à partir de 1857. Parmi les œuvres en ivoire les plus importantes, présentées lors de l’Exposition universelle de 1889, quelques années avant son décès, le fameux buste de Gallia; la Fortune, commandée par William K. Vanderbilt (1849-1920) ; Andromède, appartenant à Mme Morgan de New York et le buste de florentine, acquis par Henry Walters. Il était depuis 1877 chevalier de la Légion d’honneur, et fut nommé en 1885 professeur à l’Ecole des Arts décoratifs.