1633 ? – Rome 1702
Natures mortes de fruits et fleurs dans un vase de cristal sur table drapée de brocart rouge
Huile sur toile, la paire
95,8 x 74 cm
Circa 1690
Bibliographie : G. Bocchi & U. Bocchi, Pittori di Natura morta a Roma, Artisti italiani 1630-1750, Arti Grafiche Castello, Viadana, p. 525-570.
Longtemps oublié par l’histoire de l’art et par les collectionneurs, de récentes études entreprises au cours des années 1990 ont permis de rendre au peintre Carlo Manieri la place primordiale qu’il occupait au sein de la production de natures mortes à Rome, durant la seconde moitié du XVIIe siècle.
Si la majeure partie de sa biographie reste nébuleuse, sa date de naissance étant incertaine (même si elle est mentionnée comme 1633 sur la base de la Fondation Zeri), et le lieu de celle-ci déduite des informations présentes sur l’acte de naissance de sa fille ; ses années d’activité romaines ont cependant pu être établies, de 1662 à 1700, grâce à des documents attestant son admission auprès de la prestigieuse Congregazione dei Virtuosi al Pantheon.
Jusqu’à aujourd’hui, il ne restait de cette reconnaissance institutionnelle, qu’une traduction matérielle se limitant à une dizaine d’œuvres inscrites dans les inventaires fameux Colonna, Pamphilj et Valenti Gonzaga de 1714, 1725 & 1756. Malgré le caractère lacunaire des informations qui nous sont parvenues, il semble que sa production se distingue par de somptueuses compositions garnies de fruits, de fleurs et d’oiseaux, richement soutenues par des rideaux et des coussins de brocard, de l’argenterie, des instruments de musique et des trophées, bien souvent orchestrées dans un majestueux décor architectural à l’antique.
La reconstitution du corpus de l’artiste et l’identification des éléments distinctifs de l’art de Manieri ont pu être amorcées à partir d’un autre inventaire, celui de Pellegrino Peri, l’un des plus riches marchands de Rome. Originaire de Gênes, il fut l’un des acteurs du marché de l’art les plus influents de la cité papale durant la seconde moitié du XVIIe siècle. Véritable entremetteur entre commanditaires et artistes, il conseilla, depuis sa boutique de la Piazza Navona, le cardinal Benedetto Pamphilj (1653-1730) pour la décoration de son palais. Tantôt données à Gabriello Salci, ou encore parfois à Berentz, un certain nombre de natures mortes de la même main sont maintenant souvent rendues à Carlo Manieri.
L’effervescence artistique qui anima Rome durant la seconde moitié du XVIIe siècle, conduisit en effet de nombreux artistes à s’influencer entre eux, comme c’est le cas entre notre peintre et Christian Berentz (1658-1722), un Allemand qui réalisa toute sa carrière en Italie, et plus particulièrement à Rome, connu pour avoir introduit dans ses natures mortes les thèmes, le détail et la finesse de la touche, inhérents à la peinture nordique. La proximité de la production des deux artistes amena les spécialistes à attribuer deux pendants d’une série – aujourd’hui identifiés comme de la main de Manieri – à un « pseudo Berentz », car les toiles furent peintes avant son arrivée à Rome. Au même titre, d’autres tableaux aujourd’hui attribuées à Manieri ont longtemps été identifiées comme oeuvres de divers autres artistes tels Francesco Fieravino, Meiffren Conte, le « Maestro della Floridiana », Antonio Tibaldi, ou encore Gabriele Salci (1681-1720), l’artiste anciennement rapproché de nos deux pendants, par similarité de composition.
Principalement dans des collections privées – sans doute en raison de leur esthétique décorative évidente – les toiles de notre artiste permettent, prises dans leur ensemble, de comprendre ses influences et le caractère unique de ses natures mortes. Il se positionna comme l’un des piliers du genre à Rome durant la seconde moitié du XVIIe siècle, en réussissant à assimiler et à faire vibrer les nobles compositions rigides de Benedetto Fioravanti ; en insufflant à ses toiles l’élégance et la légèreté de Berentz ; et en employant le naturalisme généreux de Michelangelo del Campidoglio. Au-delà de ces observations théoriques, les œuvres de Manieri furent très appréciées des riches commanditaires de son temps, raison pour laquelle il réalisa de nombreuses séries, des répétitions aux légères variations toujours cohérentes, afin d’orner de somptueux intérieurs, comme c’est sans doute le cas pour nos deux œuvres.
Le premier plan est occupé par un support : un entablement en pierre sculpté d’une patte de lion s’envolant en une feuille d’acanthe pour le premier, et une table à plateau de marbre blanc aux pieds dorés décorés de motifs végétaux pour le second. Un magnifique rideau de brocart rouge chatoyant, aux motifs floraux brodés de fils d’or, est négligemment posé sur chacun de ces supports, déclinant toute une série de plis complexes. Tels des autels à la nature morte, ces présentoirs drapés offrent à la contemplation une farandole de fruits charnus et bigarrés, des poires aux grappes de raisins, en passant par des pêches, des prunes et des grenades. Cette abondance, bien que débordante, est contenue – si elle n’est pas directement posée sur la table – à l’intérieur d’une urne argentée sur chacun des pendants. Mais il ne s’agit pas des seules pièces d’orfèvrerie, puisque tout un ensemble composé d’une aiguière dorée, d’un cartel finement ouvragé et d’un vase de cristal en forme calice et au pied orné vient agrémenter ce foisonnement de fruits et de sarments de vigne. D’ailleurs, les vases de cristal, cadrant la composition par leur verticalité, accueillent un bouquet de pétunias bleus et de roses pâles, apportant une touche de grâce à cette généreuse scène. Enfin, à l’arrière-plan, un rideau de couleur sombre vient clore et délimiter l’espace comme s’il s’agissait de l’intérieur tamisé d’un fastueux palais du XVIIe siècle.
Ces deux tableaux représentent donc un double témoignage : celui d’un goût particulièrement développé pour l’esthétique de la nature morte et de la décoration d’intérieur au XVIIe siècle, à Rome ; ainsi que celui d’une histoire de l’art changeante, dévoilant progressivement, au fur et à mesure des découvertes, la main d’un artiste qui semble avoir été un artiste décorateur incontournable chez les plus hauts dignitaires de la cité papale.