(1645 Toulouse – Paris 1730)
La leçon d’astronomie de la duchesse du Maine
Huile sur toile
99.5 x 130 cm
Exécuté vers 1705
Provenance:
Peint par l’artiste pour l’un des modèles, peut-être la version citée dans l’inventaire de Sceaux ; Comte de Labessière, qui le vendit au dernier propriétaire en 1957.
Tout comme La lecture de Molière de Jean-François de Troy, notre tableau st l’une des scènes d’intérieur les plus emblématiques de la première moitié du XVIIIe siècle français. La composition était précédemment connue par une autre version, également autographe (bien que ne présentant pas les nombreux repentirs existant sur notre tableau, et d’une exécution moins libre dans les drapés), acquise en 1988 par le musée de l’Ile-de-France à Sceaux (huile sur toile, 96 x 128 cm).
Hormis leur qualité picturale, et leur intérêt historique, ces deux tableaux sont les seules représentations connues de l’intérieur de l’ancien château de Sceaux, détruit en 1790 (dont des plans des XVIIe et XVIIIe siècles sont conservés au Nationalmuseum de Stockholm), et qui connut son âge d’or entre 1702 et 1715, grâce à la personnalité brillante de la duchesse du Maine (voir François de Troy, Dominique Brême, Somogy, 1997, p.55 à 65).
Le domaine avait été acquis en 1699 par le duc du Maine auprès de la veuve du marquis Jean-Baptiste Colbert de Seignelay, le fils de Jean-Baptiste Colbert, le célèbre ministre des finances de Louis XIV.
Les trois acteurs de la scène sont ici représentés dans les appartements de la duchesse, au sud du rez-de-chaussée, dans sa partie publique, accessible depuis l’entrée principale. Il s’agit vraisemblablement de l’ancien cabinet de Colbert, dont les bustes antiques, présents sur notre toile, étaient déjà cités dans d’anciennes descriptions. Sur la droite, la pièce donne sur une bibliothèque, ornée d’un baromètre. L’horloge, dont le cadran est supporté par le Temps et l’Amour, fut un ajout de la duchesse. On peut y voir son écu, ainsi que celui de son époux, entre les deux consoles.
Les relations de François de Troy avec le duc du Maine commencèrent dès 1691, par un premier portrait du duc en compagnie de sa sœur, mademoiselle de Nantes. Il réalisa par la suite plusieurs autres effigies, dont une documentée à Dresde vers 1692, deux autres uniquement connues par leurs gravures de Drevet, et une dernière enfin, datant de 1715, qui est conservée au musée de l’Ile de France à Sceaux.
En ce qui concerne les représentations de la duchesse du Maine par de Troy, nous n’en connaissons qu’une : un portrait allégorique de la duchesse en Cléopâtre (Versailles, musée National du Château), dont plusieurs copies et répliques sont répertoriées. De Troy peignit également, au moins à trois reprises, leur fils Louis-Auguste ; le premier portrait fut exposé au Salon de 1704, le second, de 1712 est conservé à la mairie de Trévoux, le dernier n’étant plus connu que par sa gravure par Desrochers.
Notre tableau, d’une exceptionnelle richesse de coloris, d’un dessin savant et d’une composition inventive, nous fait pénétrer l’intimité des appartements de la duchesse du Maine.
Anne-Louise Bénédicte de Bourbon-Condé (1676-1753), petite-fille du Grand Condé, dîte Mademoiselle de Charolais, était la fille d’Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé, et d’Anne de Bavière. Elle avait épousé le duc du Maine (1670-1736), Louis-Auguste de Bourbon, fils légitimé de Louis XIV et de la marquise de Montespan, le 19 mars 1692.
Un dessin préparatoire à la duchesse du Maine est passé en vente publique (F. de Troy, Portrait d’une dame assise dans un fauteuil et tenant un livre devant elle, Drouot, 18 avril 1984, n°81). Il nous permet de connaître avec certitude les méthodes de travail de de Troy, qui avait pris un modèle pour l’attitude, ne faisant réellement poser la duchesse que pour l’étude de son visage.
La duchesse du Maine est ici très reconnaissable à sa petite taille (La Palatine la décrivait comme n’étant « pas plus grande qu’une enfant de dix ans »), à sa grande bouche et à son maquillage, souvent décrit comme excessif. Elle porte une robe de satin ornée de broderies d’or, ainsi qu’un manteau de velours de soie bleue à fleur de lys, témoin de son rang. D’une main, elle désigne un grand livre posé devant elle, près d’une sphère armillaire indiquant les positions du soleil et des planètes, et d’instruments de mesure en cuivre tels qu’un rapporteur et un compas.
Assis en face d’elle, sur un tabouret et non plus sur un fauteuil, pour montrer la différence de leur rang, se trouve Nicolas de Malézieu (1650-1729), personnage incontournable de la cour de Sceaux. Helléniste et mathématicien, il fut le précepteur du duc du Maine, auprès duquel l’avait introduit Bossuet. Membre de l’Académie Royale des Sciences, auteur d’Eléments de Géométrie (1715), il était passionné par l’étude des astres et avait fait installer chez lui, à Châtenay, un observatoire pour ses études d’astronomie.
Ici représenté en train de compter les planètes (répondant ainsi au mouvement de la duchesse du Maine qui désigne une sphère céleste) il était également un homme de lettres, et fut reçu à l’Académie Française en 1701. Traducteur, auteur de poèmes, contes et saynètes qu’il interprétait lui-même, il organisait les soirées théâtrales et musicales de Sceaux. Un certain nombre de ses textes furent publiés en 1712 dans Les Divertissemens de Seaux.
Il est ici représenté en costumes de représentation, certainement pour montrer à quel point les études scientifiques et festivités se succédaient à cette cour.
Malézieu est facilement reconnaissable à son long nez, à ses yeux globuleux et à l’enfoncement qu’il avait sur le front, comme on peut le voir sur le portrait gravé par Edelinck (BNF, Cabinet des Estampes, Db 14 +, f°36) d’après le tableau de François de Troy exposé au salon de 1704, et aujourd’hui perdu (une copie de ce portrait est conservée au château de Versailles, MV.2946).
Célèbre pour sa mauvaise vue, Malézieu avait reçu le surnom de « Mal aux yeux », comme nous le rappelle l’Abbé Genest, dernière figure de notre tableau, qui apparaît sur le seuil de la porte tenant une loupe.
Factotum de la cour de Sceau, Charles-Claude Genest (1639-1719) avait été officier avant de devenir abbé. Membre de l’Académie Française (1698), tout comme Malézieu, il était ainsi décrit par Sainte-Beuve dans ses Causeries du lundi « L’abbé Genest était auprès des princes ce qu’ils ont aimé de tout temps (même du nôtre), un mélange du poète et du bouffon. » (vol.3, Garnier, Paris, 1858, p.213).
Parmi les personnalités les plus marquantes de cette cour, on peut citer l’Abbé Guillaume Amfrye de Chaulieu, Joseph La Grange-Chancel, puis, un peu plus tard, Voltaire, qui écrivit Zadig au château de Sceaux. Montesquieu, d’Alembert ou encore le comte de Caylus.
Notre tableau est, avec le spectaculaire et ambitieux Banquet de Didon et Enée (Salon de 1704), récemment acquis par le musée de l’Ile-de-France, la commande la plus importante passée à de Troy pour Sceaux. (on retrouve d’ailleurs dans le banquet, outre le duc et la duchesse, certains des membres de leur cour, dont Malézieu et l’abbé Genest)
Hormis notre tableau et celui du musée de l’île de France, une autre version du tableau est connue (voir La Leçon d’Astronomie de la duchesse du Maine, par Georges Poisson, in La Revue du Louvre, 1989-4, p. 242, et p. 244, note 23). Décrite comme réplique de moindre qualité dans l’article, celle-ci est restée dans la descendance de Malézieu.
Biographie:
Elève de son père Jean de Troy, François de Troy complète sa formation dans les ateliers de Nicolas Loir et de Claude Lefèbvre. Installé à Paris après 1662, il est reçu à l’Académie Royale en 1674 avec Mercure et Argus (Paris, Ecole Nationale des Beaux-Arts). Protégé par le financier Pierre Crozat, toulousain comme lui, François de Troy devient l’un des portraitistes les plus appréciés à la cour, tout autant que Rigaud et Largillière, de quelques années ses cadets.
Parmi les commandes importantes qui ont ponctué sa carrière, on peut citer La naissance du duc de Bourgogne, peint pour les Echevins de la Ville de Paris en 1682, les portraits de Mademoiselle de Nantes (1690; Chantilly, musée Condé), du comte de Toulouse ou de Mademoiselle de Blois (1691; Paris, musée du Louvre), ou de la Princesse de Conti (Versailles, musée du château). De Troy nous a également laissé le portrait de Mansart (1699; Versailles, musée du château) et celui du collectionneur Jean de Julienne (1722; Valenciennes, musée des Beaux-Arts).
Nombre de ses dessins, considérés par Dezallier d’Argenville à l’égal de « ceux de Van Dyck », nous sont aujourd’hui parvenus. Parallèlement à son activité de peintre, François de Troy a mené une carrière officielle à l’Académie Royale dont il devint le directeur en 1708, puis adjoint au recteur en 1722. Il eut pour élève son fils, Jean-François de Troy (1679 Paris-Rome 1752).