(Paris 1715 – Paris 1767)
Portrait de monsieur du Chastellier
Pastel sur papier marouflé sur toile
75 x 60 cm
Signé et daté L.Vigé pinxit 1744
Cadre d‘époque Louis XV
Encadré : 95 x 80,5 cm
Provenance : Colonel Gustave Poterat de Billy (1840-1924) (étiquette ancienne au revers de la toile « Colonel de Billy ») ; Collection particulière, Belgique
Bibliographie : Neil Jeffares, Dictionnary of Pastelists before 1800, Louis Vigée, n°J.758.195 « M. Duchastellier, pstl, 1744 (M. de Billy, colonel du 33e régiment d’infanterie). Exh : Arras, 1896, n°190 »
Exposition : Exposition Rétrospective des arts et monuments du Pas-de-Calais, Arras, 20 mai-21 juin 1896, catalogue par Henri Loriquet, n°190 du catalogue « M. du Chastellier, pastel de « L.Vigé 1744, 0m73x0m54 »
Aujourd’hui plus connu comme le père de la célèbre portraitiste Elisabeth Vigée-Le Brun, Louis Vigée était le fils d’Alexandre Vigée (parfois orthographié Vigé ou encore Viger), et le filleul du sculpteur Pierre Poissant. Celui-ci participa beaucoup à son éducation artistique ainsi qu’à celle de son frère Nicolas-Alexandre, également sculpteur, que Tessin fit venir à Stockholm.
On connaît mal le début de carrière de Louis Vigée, ni à quelle date il se tourna vers le pastel, mais il est certain qu’elle est bien antérieure à ses premières œuvres datées (1742), qui témoignent d’une grande maîtrise de ce médium si exigeant, et d’un style déjà très abouti. Si on lui connait peu d’œuvres à l’huile, on sait grâce aux écrits de sa fille qu’il avait notamment réalisé des tableaux dans le goût de Watteau et de Pater, malheureusement aujourd’hui perdus.
Ami proche de Doyen, Vigée fut toute sa vie influencé par les œuvres du portraitiste Louis Tocqué, et ses pastels, à la fois fidèles et spirituels, lui permirent de se faire une clientèle très tôt dans sa carrière. On retrouve parmi ses clients des membres de la noblesse, des politiciens et des financiers mais également des artistes comme Beaumarchais ou le sculpteur Jacques-Charles Martin, ou encore des actrices.
Son aisance sociale et financière fit qu’il ne se présenta qu’assez tard à l’Académie de Saint-Luc, où il fut reçu en 1743. Il y côtoyait Jacques-Charles Allais, Glain ou encore Claude Mercier, avec lesquels il partageait parfois ses modèles. Un certain nombre de ses portraits furent gravés, notamment par Jean-Georges Wille et Jacques-Louis Touzé.
Louis Vigée exposa régulièrement au Salon de 1751 à 1764, et la plupart de ses portraits est aujourd’hui en collections particulières. Parmi les œuvres conservées dans des musées, on peut citer Madame Favard en pèlerine, de 1745, au Nationalmuseum de Stockholm ou encore le Portrait du grand industriel suisse Jean-Jacques Deluze au Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel.
Le critique belge Louis Dumont-Wilden avait ainsi décrit Vigée dans son ouvrage Le Portrait en France (1909) : « Cet excellent peintre, très peu et très mal connu, a été complètement écrasé par la réputation de sa fille, Mme Vigée-Lebrun. On ne sait presque rien de lui, et la plupart de ses œuvres ont sans doute été attribuées à des maîtres plus illustres dans les collections publiques et privées où elles figurent. Les rares portraits que l’on a de lui sont très vivants, et d’un goût vraiment exquis: c’est ce qui a permis, du reste, à un grand nombre de collectionneurs de les attribuer à La Tour ».
Les pastellistes, à cheval entre le mode du dessin et celui des tableaux, ont été en effet longtemps oubliés par les historiens d’art. Ils sont aujourd’hui peu à peu redécouverts, notamment grâce aux recherches du spécialiste Neil Jeffares. Xavier Salmon, conservateur des dessins du Louvre, leur a consacré une grande exposition en 2018 « En société, Pastels du Louvre des 17e et 18e siècles », suivi, l’année passée par le musée d’Orsay « Pastels de Millet à Redon ».
Notre élégant portrait d’homme est daté de 1744, soit juste après la réception de Vigée à l’Académie de Saint-Luc. Tant la noblesse du personnage, que son grand format (75 x 60 cm), peu fréquent chez l’artiste, témoignent de l’importance du modèle.
Représenté dans une pose dynamique, le corps de trois-quarts et le visage de face, celui-ci arbore une longue perruque bouclée, un gilet bleu recouvert d’un habit de velours gris et une cravate avec un magnifique jabot de dentelles. Le traitement du visage a fait l’objet d’une attention toute particulière, avec un très léger jeu de petites hachures pour rendre le modelé.
La main négligemment glissée dans le gilet, motif récurrent chez Vigée, ainsi que la bonhommie du modèle et son air de contentement confèrent à notre portrait une présence toute particulière.
Le nom de notre modèle nous est parvenu grâce au catalogue de l’exposition à laquelle monsieur de Billy a prêté notre pastel en 1896. Si nous savons qu’il s’agit d’un monsieur du Chastellier, il est par contre plus difficile d’établir avec certitude l’identité exacte du personnage, deux hommes pouvant correspondre de par leur âge et leur statut social.
Il est en effet possible qu’il s’agisse de Joachim de Chastellier-Dumesnil (1700-1764), homme de cour, militaire et diplomate surnommé « le Beau Dumesnil », auquel une monographie fut consacrée en 2022 (Fadi el Hage, « le Beau Dumesnil. Un serviteur de l’ombre sous le règne de Louis XV », Paris, l’Harmattan). Lieutenant général des armées du roi en 1748, éloquent, séducteur, Joachim de Chastellier est resté célèbre pour ses missions diplomatiques, notamment auprès de Frédéric II, et ses nombreuses amitiés haut placées. Rémy Duchastellier pourrait également avoir été portraituré ici. Inspecteur aux Invalides en 1719 et premier commis des bâtiments du roi à sa mort, en 1750, il avait été tuteur des enfants du sculpteur du roi, Jacques Rousseau en 1715, il aurait tout à fait pu entrer en contact avec l’entourage de Vigée dès cette époque.
Enfin, si la signature « Vigé », et non Vigée peut surprendre car elle est inhabituelle pour l’artiste, elle n’est pas un cas unique. Le très beau Portrait de la mère de l’artiste (madame Alexandre Vigée) conservé à San Francisco (FAM, Inv. 1999.56.32) est signé « Esquisse de ma mère par son fils Vigé le jeune 1744 », soit la même année que notre portrait.
Nous tenons à remercier monsieur Neil Jeffares pour son aide dans la rédaction de cette notice.