GUSTAVE DORE
(Strasbourg, 1832 – 1883 Paris)
‘Sunbeam’ R.Y.S., le célèbre yacht de Thomas et Annie Brassey
Lavis gris rehaussé de gouache blanche
368 x 240 mm
Signé en bas à droite: G Doré
Le XIXe siècle fut profondément marqué par l’extension des grands empires coloniaux à l’ensemble du globe et par l’intérêt renouvelé pour l’étude de la géographie et les explorations qui en découlèrent. Parallèlement aux expéditions ambitieuses financées par les gouvernements européens, des voyageurs fortunés parcouraient la surface du monde, confrontés aux aventures et aux risques de ces voyages au long cours. Thomas Brassey (1836-1918), un politicien libéral passionné de navigation, et son épouse Anna Brassey (née Allnutt, 1839-1887), naviguèrent pendant presque quinze ans sur leur yacht construit à Liverpool et lancé en 1874, le RYS (du nom de leur club, le Royal Yacht Squadron de Cowes, sur l’île Wight) SUNBEAM (rayon de soleil en français).
Le trois mats de 48 mètres de long, équipé de puissants moteurs, appareilla en 1876 pour un voyage autour du monde avec quarante-huit personnes à son bord, dont le couple Brassey et leurs cinq enfants, quelques amis et les hommes d’équipage. Etant passés par l’Atlantique sud, le Pacifique, via Tahiti, Hawaï, le Japon, l’Océan Indien, avec des arrêts à Ceylan, Aden et le canal de Suez, les Brassey accostèrent à Hastings le 27 mai 1877.
Annie Brassey tira de cette longue navigation, riche en anecdotes, un récit vivant et pittoresque, A voyage in the Sunbeam, our Home on the Ocean for Eleven months (1878) qui devint rapidement un best-seller, fut traduit dans toute l’Europe et fit d’elle une célébrité. D’autres voyages et d’autres récits suivirent, Sunshine and storm in the East (1880), et In the Trades, Tropics and the Roaring Forties (1885). Lady Brassey devait contracter une fièvre fatale au cours d’un voyage menant le Sunbeam au large de l’Inde, de Bornéo et de l’Australie. Elle mourut à son bord le 14 septembre 1887.
Lord Brassey poursuivit ses voyages, principalement vers l’Australie, où il fut gouverneur de Victoria. Le Sunbeam servit de navire hôpital pendant la première guerre mondiale, fut vendu à Sir Walter Runciman en 1922, qui le fit désarmer, mais lança en 1929 un Sunbeam II. Bien que la nature exacte des rapports qui lièrent Gustave Doré aux Brassey demeure à ce jour méconnue, l’artiste français travailla à la couverture de Storms in the East (publié en 1880 par Longmans, Green and Co), reproduisant sur le dos de la reliure, la silhouette du Sunbeam toutes voiles dehors.
Le livre The Rime of the Ancient Mariner (1876) est illustré par une gravure de Doré représentant un bateau malmené par les éléments. Il se rapproche de notre dessin, mettant en scène la fragilité du navire et des entreprises humaines, au regard des forces déchaînées de la nature. Même si la mer est plus calme dans notre feuille, le ciel est chargé de nuages menaçants qui annoncent une tempête. Seul perce un rayon de soleil, signe d’espérance, qui dessine dans les cieux le nom du navire. On peut imaginer qu’il s’agit d’un projet d’illustration, frontispice ou couverture, pour un des ouvrages écrits par Lady Brassey.
Les liens de Gustave Doré et de l’Angleterre furent étroits et s’étendirent sur plusieurs décennies. Depuis les illustrations pour Les Œuvres complètes de Byron en 1853, Le Paradis perdu de Milton en 1866, jusqu’à la fermeture de la Doré Gallery (en 1892, neuf années après la mort de Doré), qui attira plus de deux millions de visiteurs, l’artiste mena de nombreuses entreprises outre-Manche. Cultivant un style onirique et mystérieux, dont certains aspects évoquent les univers de Poe et de Jules Verne, Doré multiplia les collaborations avec l’édition, illustrant La Fontaine (1867), Dante (1861) ou La Bible (1866). Pour notre feuille, il donne le meilleur de lui-même, mettant au service d’une composition poétique et pleine de mouvement, une technique élaborée, mêlant l’encre, le lavis et la gouache blanche.