(Paris 1679-1752 Rome)
Judith tenant la tête d’Holopherne
Huile sur toile.
195 x 147 cm
Encadré : 227 x 180 cm
Signé et daté : DE TROY 1730
Cadre d’époque Louis XV
Provenance : M.Denisot, chez M. Bossu, rue saint-Denis, Paris, en Août 1782 ; Vente à l’hôtel de Bullion, 30 novembre 1782 ; Collection privée, Italie
Bibliographie : Christophe Leribault, Jean-François de Troy, 1679-1752, Arthena, 2002, P.343, p. 416 (mentionné comme perdu)
La place prééminente de Jean-François de Troy au sein de l’école de peinture française du XVIIIe siècle trouve son origine dans sa position de directeur de l’Académie de France à Rome pendant quatorze années. Durant celles-ci, toute une génération fut formée sous son œil vigilant, qui allait porter en germes la rénovation des arts en France et la naissance du néo-classicisme.
La redécouverte dans une collection italienne d’un important tableau d’Histoire de sa main, dans un superbe état de conservation et illustrant un des thèmes de prédilection de la peinture baroque, apporte un éclairage nouveau sur sa carrière au tournant des années 1730. Celles-ci, durant lesquelles il s’attacha la clientèle des grands financiers du royaume, et s’affranchit des leçons de son père et des souvenirs du Grand Siècle, furent parmi les plus actives et les plus brillantes de sa carrière.
Il fait montre dans notre toile de ses dons d’invention et de composition, servis par une exécution particulièrement sensuelle et brillante.
Jusqu’à présent, notre tableau n’était connu que par deux mentions : lors de sa vente chez un certain Bossu, rue Saint-Denis à Paris, en 1782, en compagnie d’un Esther et Assuérus et d’un Samson et Dalila de même format, puis, toujours avec les mêmes œuvres, lors de son passage en vente publique à l’hôtel de Bullion, l’ancêtre de l’hôtel Drouot, le 30 novembre de la même année.
L’histoire de Judith et Holopherne est tirée du Livre de Judith, qui fait partie de l’Ancien Testament. Cet épisode, qui célèbre les vertus de courage et de chasteté d’une femme héroïque, peut être interprété comme le triomphe de l’Église sur l’hérésie.Riche et belle veuve de la ville de Béthulie, Judith s’engage à sauver la cité assiégée par les troupes assyriennes de Nabuchodonosor II (605-562 av. J.C.). Elle se rend dans le camp ennemi et séduit celui qui le dirige, le général Holopherne, qu’elle enivre lors d’un festin. Le soldat sombre dans l’ivresse et s’endort. Judith le décapite alors, emporte sa tête et la suspend aux murailles de la ville. Effrayés, les soldats abandonnent le siège et se retirent.
Comme dans La mort de Cléopâtre (Musée des Beaux-Arts de Strasbourg, 1731), de Troy a choisi de camper la scène devant un grand rideau, aux plis animés par un jeu d’ombres et de lumières, installant une ambiance dramatique en concentrant le regard du spectateur sur le premier plan. Inversement, la violence et l’héroïsme du drame sont tempérés par le soin décoratif apporté à la composition, tout comme dans L’évanouissement d’Esther ( Louvre Abu Dhabi, 1730). Le tissu somptueux aux couleurs froides de la robe de Judith ou s’entrelacent gracieusement des motifs végétaux inspirés de l’Orient répond à l’étoffe de sa servante où alternent des bandes colorées de tons chauds. Le cimier du casque d’Holopherne, le pied du lit portant la signature De Troy, la garde de l’épée, les coiffes et bijoux des personnages, les drapés blanc virtuoses, sont autant de prétextes pour mettre en valeur les talents de décorateur et la liberté de touche de l’artiste.
La composition dessine, par le jeu des bras et des regards, une pyramide dont le sommet est occupé par le visage de Judith, les yeux baissés vers la tête d’Holopherne. Le drame est consommé et le regard plein de gratitude de la servante justifie la nécessaire violence du geste de sa maîtresse.
Lorsqu’ils ont abordé ce thème, le Caravage et Artemisia Gentileschi en ont choisi le moment le plus violent et le plus sanglant, celui de la décapitation. Jean-François de Troy a lui préféré occulter les aspects les plus choquants du drame biblique.
Alors que le corps repose, inerte, semblant encore engourdi par l’ivresse, une étoffe dissimule la blessure terrible, et la tête d’Holopherne, les yeux clos, et les traits presque sereins va être escamotée dans le sac tendu par la servante pour clore ce moment tragique.
L’esprit même de l’œuvre correspond bien au style classique, mesuré et noble de l’artiste et à « la dignité de maintien de ses figures » dont parlait Dandré-Bardon.
Biographie : Fils du peintre François de Troy dont il fut l’élève, Jean-François de Troy (Autoportrait, château de Versailles) séjourna en Italie de 1699 à 1706. Il y fut très impressionné par les grands vénitiens, Véronèse ou Palma. De retour à Paris, il fut reçu à l’Académie en 1708 avec Apollon et Diane perçant de leurs flèches les enfants de Niobé (Montpellier, musée Fabre). Quelques années après, le Suzanne et les vieillards (1715; Moscou, musée Pouchkine) ou le Loth et ses filles (1721; Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage) montrent l’influence de Guerchin et donnent l’orientation de toute sa carrière. Sensible aux modèles féminins qu’il place dans des scènes galantes ou dans des allégories, Jean-François de Troy est essentiellement un peintre d’Histoire, exécutant peu de paysages ou de portraits.Professeur dès 1719, il reçut des commandes de grands seigneurs ainsi que du roi et de son entourage. En 1734, il exécuta un dessus de porte pour la chambre de la reine à Versailles, La gloire des princes s’emparant des enfants de France. Il participa à la série des neuf Chasses exotiques pour les petits appartements du roi avec La Chasse au lion (1736; Amiens, musée de Picardie) et peint le Déjeuner d’huîtres pour la salle à manger des cabinets intérieurs de Versailles (Chantilly, musée Condé). Il travailla également pour Fontainebleau.