(Viarmes 1718 – Rome 1762)
Esquisse pour l’Allégorie de la terre
Huile sur papier marouflé sur toile
64 x 41 cm
Exécuté vers 1752-53
PROVENANCE : collection particulière, Suisse
Esquisse préparatoire pour le tableau commandé pour le prince Paul-Antoine Estheràzy, et dont le Szépmûvészeti Múzeum de Budapest conserve la partie basse.
Notre esquisse inédite est préparatoire à l’un des ensembles les plus importants commandés aux pensionnaires de l’Académie de France à Rome au milieu du XVIIIe Siècle et, probablement, à la principale réalisation de Barbault dans le domaine du Grand Genre.
En août 1752 Natoire apprenait à Vandières, le nouveau directeur général des Bâtiments du roi, que monsieur d’Arthenay, ambassadeur français à la cour de Naples, avait commandé quatre grands tableaux représentant les Eléments à des pensionnaires de l’Académie.
Le fastueux mécène à l’origine du projet n’était autre que le prince Paul-Antoine Estherazy (1711-1762), richissime ambassadeur de la reine de Hongrie à Naples. La princesse, née Maria-Anna Lunati-Visconti (1713-1782), se félicitait en décembre 1752, à l’occasion d’une visite au Palais Mancini « …de voir le commencement de ses travaux, par celuy que le sieur La Traverse fait comme étant le plus avancé des trois autres ».
En septembre 1753, Barbault avait, selon Natoire, achevé son tableau représentant La Terre depuis quelque temps déjà.
La réalisation de L’Eau (Budapest, Szépmûvészeti Múzeum) revenait à Charles-François de La Traverse (1726-1780), L’Air (Budapest, Szépmûvészeti Múzeum) à Gabriel-François Doyen (1726-1806), alors que c’est à Pierre-Charles Le Mettay (1726-1759) que l’on devait Le Feu (perdu).
Les œuvres, d’un format ambitieux (320 x 220 cm), étaient présentées dans un décor de boiseries à Eisenstadt, dans le vaste palais où le prince tenait sa cour. Elles figurèrent en 1820, sous les numéros 34-37, dans l’inventaire du palais viennois de Nicolas Estherazy. Par la suite, elles passèrent probablement en vente lors de la dispersion des collections du château de Pottendorf, une autre propriété princière située au sud de Vienne, à peu de distance de la frontière hongroise, le 24 juin 1867.
Alors que L’Air, resté dans la descendance des comtes Teleki de Szék, était acheté par le musée de Budapest en 1960, et que L’eau rejoignait les cimaises du même musée en 1993, ce n’est qu’en 2015 que la toile, malheureusement fragmentaire, de Barbault réapparaissait à l’occasion d’une vente publique, en Hongrie (Nagyházi Galéria és Aukciósház, 15/12/2015, numero 144).
Barbault a choisi d’organiser de façon théâtrale et spectaculaire le registre inférieur du grand tableau. Agissant comme une figure repoussoir, un satyre (Pan ?), flageolet à la main, alangui sur peau de bête et pressant une grappe de raisins est surplombé par une corbeille de fruits que brandit un personnage échappant à notre vue. Nymphes et bergers entament une ronde que Bouchardon n’aurait pas désavouée dans ses Fêtes lupercales, alors qu’un taureau va être sacrifié sur l’autel d’un temple qui clôt la composition savamment étagée.
Pour notre esquisse, le peintre avait placé le groupe des danseurs au centre de la scène, alors que des enfants, adossés à un tertre herbu et saisissant des fruits, les produits de la Terre, mère nourricière, occupaient la place du satyre. Temple et scène de sacrifice sont brossés en camaïeu, d’un pinceau léger, à l’arrière-plan de la scène.
Le registre céleste est très lacunaire dans la grande composition réapparue en 2015 : seuls subsistent quatre fragments, dont seule l’esquisse permet d’imaginer la disposition précise.
Celle-ci met en scène, sur un char en manière de trône, richement décoré, et tiré par un attelage fantastique de cygnes et de lions, symboles de la force (probablement des propositions alternatives), Cybèle, divinité d’origine phrygienne qui personnifiait la nature sauvage et la reproduction. Elle est couronnée de murailles, représentant les villes qu’elle protège et tient le globe terrestre.
Des figures féminines, dénudées et lascives, représentant probablement les saisons, reposent sur des nuages laissant percer une chaude lumière, alors que des putti semblent se disputer la longue étole de Cybèle.
La hardiesse des attitudes et le charme maniériste des silhouettes longilignes, typiques de Barbault, se retrouvent avec éclat dans son esquisse.
L’artiste partageait ce style si particulier dans le mouvement de l’art français du XVIIIe siècle, avec certains des piranésiens, les artistes français actifs au sein de l’Académie de France à Rome dans les années 1740, les Hutin, Hallé ou Le Lorrain. Le souvenir des Chinea de ce dernier trouve ici un certain écho : sa composition distribuant de nombreuses figures en registres et leurs poses audacieuses et déhanchées renvoient au projet de 1744.
On ne peut également qu’admirer ici, comme le soulignait Pierre Rosenberg « …le coloriste hors de pair qui aime à mêler les ors et les violets, les verts olive et les noirs avec un raffinement de grand artiste ».
La manière de notre rare esquisse, première pensée plus que modello, tant les différences avec la composition finale sont nombreuses, est également remarquable et représentative de l’artiste. Pierre Rosenberg évoque pour la caractériser « la sûreté de la touche, une touche rapide et onctueuse » et « son goût pour une matière porcelainée, émaillée, crémeuse » que l’on retrouve dans les empâtements et les glacis prestement posés de notre ébauche.
Dominique Jacquot citait trois œuvres qui conféraient à Barbault une place à part dans la peinture de son temps : la Mascarade de Besançon, la Bufflonne de Strasbourg et la Fête italienne. Peut-être convient-il aujourd’hui d’en ajouter une quatrième avec notre Allégorie de La Terre qui vient donner un éclairage nouveau, puisqu’il s’agit de sa seule esquisse certaine, sur l’œuvre de cet artiste profondément original ?
Biographie : Elève de Jean Restout, Barbault concourut pour le Prix de Rome en 1745, mais c’est finalement à ses frais qu’il se rendit en Italie, en 1747. De Troy, alors directeur de l’Académie de France, distingua le jeune artiste et lui permit, deux ans plus tard, de devenir pensionnaire du palais Mancini.
Le remplacement de Jean-François de Troy par Natoire, puis son mariage qui venait enfreindre le règlement de l’Académie (« il a fait la sottise de se marier secrètement avec de la misère » selon Natoire), conduisirent à l’exclusion de Barbault en 1753. Le jeune artiste décida cependant de rester à Rome, où il fit toute sa carrière.
Artiste aux talents multiples, Barbault réalisa plus de cinq cents gravures, toutes très influencées par l’œuvre de Piranèse, dont il fut le collaborateur. Il participa ainsi à plusieurs grands projets de l’époque, Varie Vedute di Roma Antica e Moderna, Antichità Romane, puis en 1761 Les Plus beaux Monuments de la Rome Ancienne.
Ses œuvres peintes sont beaucoup plus rares que ses planches, et assez fréquemment mal attribuées. Plusieurs de ses toiles ont un temps été données à des artistes italiens ou espagnols.Le nom de Barbault reste aujourd’hui indissociable de la série de tableaux commandés par Jean-François de Troy en souvenir de La caravane du Sultan à la Mecque,
grande mascarade turque donnée par les pensionnaires en 1748. Dispersés lors de la vente Julienne, en 1767, plusieurs d’entre eux ont disparu, d’autres sont conservés au Musée du Louvre (La Sultane grecque et le Prêtre de la Loi), à la Fondation Cini de Venise, ou au musée Départemental de Beauvais (Emir Bachi et l’Ambassadeur de Perse).
Son œuvre la plus célèbre, la monumentale Mascarade des quatre parties du monde de la collection du marquis de Breteuil, est aujourd’hui au musée de Besançon