(1824, Lyon – Paris, 1898)
Etude pour « Bellum »
(musée de Picardie, Amiens)
Plume et encre brune sur papier calque
19 x 26,8 cm
1861
Exposition : Puvis de Chavannes, Paris, Grand-Palais et Ottawa, Galerie Nationale du Canada,
1976-1977, n°39, reproduit p.74
Provenance : Ancienne collection Henri Puvis de Chavannes (1893-1955) ;collection particulière, France
Originaire d’une famille de la bourgeoisie lyonnaise, la vocation de peintre de Pierre Puvis de Chavannes fut relativement tardive. Après avoir reçu une solide éducation classique au lycée Henri IV, il passa un an dans l’atelier d’Henri Scheffer, avant de rencontrer Delacroix par l’intermédiaire de son ami Bauderon de Vermeron. Quelques semaines seulement après être entré dans l’atelier de Delacroix, le jeune Puvis entra dans celui de Thomas Couture avant de s’installer place Pigalle en 1852. Influencé par les fresques de Chassériau peintes pour la Cour des comptes, il résolut de s’orienter vers la décoration murale, et réalisa son premier cycle décoratif, sur le thème du Retour de l’enfant prodigue et des Quatre Saisons pour son frère à Brouchy.Longtemps refusé au Salon, Puvis put enfin y exposer en 1861. Puvis de Chavannes commença alors une carrière de grand décorateur, recevant plusieurs commandes d’importance : pour le musée d’Amiens, le palais de Longchamp à Marseille (1869), l’hôtel de Ville de Poitiers (1874), le Panthéon (1874), ou encore l’hôtel de Ville de Paris (1891).Inspiré par l’art mural de l’Italie renaissante, Puvis de Chavannes peint de grandes compositions allégoriques avec une puissante économie de moyens. Il fonde son art sur l’harmonie de la composition, et sur la ligne, à l’aide de laquelle il construit des figures qu’il refuse volontairement de modeler et qu’il brosse dans un camaïeux de couleurs sourdes.
Puvis de Chavannes fut également un dessinateur important, tant par le nombre de feuilles qu’on lui connaît, que par la variété de sa production graphique, que souligne Marie-Christine Boucher dans le catalogue de l’exposition consacrée à l’artiste par le musée d’Amiens en 2005-2006.
Notre feuille, inédite sur le marché, est une première idée pour « Bellum », exposée au musée de Picardie à Amiens. Si l’œuvre fait aujourd’hui partie d’un décor monumental comprenant également Concordia, Le Repos, L’exercice pour la Patrie, Le Travail, Pro Patria Ludus, et enfin Ave Picardia Nutrix, elle n’a pas été créée pour le musée.
Concordia et Bellum, deux allégories de la Paix et de la Guerre, furent exécutées par Puvis et présentées au Salon de 1861, lors de sa première participation après plusieurs années de refus. C’est là que la critique découvrit l’artiste et que ses œuvres furent louées pour la modernité qu’elles apportaient au Salon. Théophile Gautier écrivit notamment « Ce jeune artiste, dans un temps de prose et de réalisme, est naturellement héroïque, épique et monumental » (Abécédaire du Salon de 1861, p.103-104).C’est Arthur-Stanislas Diet, nouvel architecte du projet du Musée Napoléon (renommé Musée de Picardie dès 1878), qui avait repéré les deux oeuvres au Salon. La création de ce musée était très importante car il avait pour ambition de devenir un Louvre en Province permettant de promouvoir l’art français, et ces deux très grandes toiles y trouvaient parfaitement leur place.
Le Repos et Le Travail, présentées au salon de 1863 les rejoignirent lorsqu’elles furent acquises par l’Etat. D’autres allégories qui furent, elles, crées pour venir compléter le décor du musée, suivirent en 1864, 1865 en enfin 1882.
Notre dessin est la première pensée de l’artiste, exécuté d’une plume rapide et nerveuse, et à l’encre fero-gallique brune. Extrêmement dramatique, fouillée, ses figures presque enchevêtrées les unes dans les autres, la feuille est particulièrement puissante malgré son format assez modeste si l’on pense à l’ampleur que prendra la composition dans la toile d’Amiens. La quasi absence de réserve sur le dessin central est contrebalancée par sa bordure, ici vierge, et qui sera reprise dans les tableaux, ornée d’attributs militaires. La bordure de Bellum sera malheureusement supprimée, au grand dam de Puvis.
Puvis de Chavannes choisit ici de représenter non pas les combats en eux-mêmes mais les conséquences dramatiques de la guerre, la mort, les pillages, incendies, la détresse et la désolation. S’il simplifia sa composition finale, en l’allégeant et éloignant les scènes du second plan pour laisser plus de respiration, il conserva tous les groupes ébauchés sur notre feuille ; les cavaliers sonneurs de trompe, un père et une mère agenouillés devant le cadavre de leurs fils, des captifs : un homme à terre, et trois jeunes femmes aux mains liées, des animaux blessés, et des incendies, un peu partout en fond. S’ils furent conservés, les groups furent souvent déplacés dans la composition, comme les bœufs, dans le coin droit de notre feuille, et auxquels Puvis ajoutera un arbre mort, symbole de la désolation de la nature. Les sonneurs de trompe également, tout à gauche sur notre dessin, auront une place beaucoup plus centrale sur la toile finale.
Le Metropolitan Museum of Art de New York conserve une feuille préparatoire à Bellum, exécutée après notre composition d’ensemble, et précisant les deux bœufs et l’homme aux mains liées sur la toile finale (Inv. 18.143). Le musée d’Orsay conserve également un dessin préparatoire à cet homme (Feuille d’études de figures, Inv. RF 2174).
Puvis de Chavannes exécuta des répliques de ses quatre œuvres emblématiques, Le Repos, Le Travail, et Bellum et Concordia, rebaptisés La Guerre et La Paix pour former un ensemble décoratif cohérent. Il les présenta à l’Exposition Universelle de 1867. La Guerre et La Paix sont aujourd’hui au Philadelphia Museum of Art (Inv. 1062 et 1063).