(1864 Nantes – Le Croisic 1930)
La Piazzetta San Marco
Huile sur toile ; 60 x 73 cm
Signé en bas à droite : J. du.Puigaudeau.
Encadré : 84 x 96,5 cm
Exécuté en 1904
Publication : Sera inclus dans le tome II du Catalogue raisonné de l’artiste par Antoine Laurentin, à paraître en novembre 2023
C’est grâce au soutien financier de monsieur Royer de Mauvillain, l’époux de l’une de ses cousines, que Puigaudeau put entreprendre le séjour à Venise dont il rêvait depuis longtemps. Il arriva dans la Sérénissime le 15 Août 1904, accompagné de son épouse, et s’installa dans un atelier que lui prêtait un de ses amis. Emerveillé par la ville, tant par ses couleurs et ses reflets, que par ses marbres et ses mosaïques, il n’en repartit qu’au mois de décembre, après avoir exécuté pas moins d’une soixantaine de toiles.
Peignant inlassablement, son épouse écrivit qu’il rentrait fréquemment au petit matin, après avoir passé la nuit à travailler ses vues au clair de lune. Il exécuta ainsi de tout petits formats, qu’il peignait sur le vif, ainsi que des compositions plus ambitieuses comme la nôtre, ou comme San Giorgio au clair de lune (Collection G. Marciano, Los Angeles) qu’il finissait dans son atelier. On peut également citer la très belle la Gondole aux lampions , conservée en collection particulière, et qui illustre son intérêt pour tous les jeux de lumière, feux d’artifices ou lampions.
Sur notre toile, du Puigaudeau représente une de ses vues favorites, la piazzetta san Marco donnant sur le Grand canal. Si sur la droite de notre composition le célèbre Palais des Doges, simplement éclairé par la lune, se distingue nettement avec sa façade-parfait mariage de l’art gothique et de la Renaissance-, à l’inverse, Santa Maria della Salute et la douane de mer, reconnaissable à sa sphère dorée, semblent toutes deux parfaitement endormies dans la pénombre.
Le bâtiment de la Biblioteca Marciana, au centre de notre toile, semble lui encore animé, des orangés chatoyants laissant imaginer une vie nocturne, d’où rentrent peut-être les quelques figures qui s’ éloignent sur le quai. Le jeux des ombres des deux colonnes de granit gris surmontées des symboles de la ville, celle du lion ailé, au centre de notre tableau, ainsi que celle de saint Théodore, viennent traverser le quai pour disparaître peu à peu au premier plan.
Puigaudeau exécuta une autre version de notre toile avec quelques variantes dans les figures (catalogue raisonné, 1989, n° 62 « La façade du Palais des doges au clair de lune »., ainsi qu’une vue prise entre le Palais des Doges et la Biblioteca Marciana, face aux deux colonnes (cat. Raisonné n° 63 « Piazzetta au clair de lune »), qu’il conserva toujours avec lui, accrochée dans le salon de son Manoir de Kervaudu.
D’un point de vue technique, c’est la merveilleuse unité du travail au pinceau, avec une matière très fine et une trame de touches rapides et sages qui s’associent, le ciel et la pierre semblant se fondre l’un dans l’autre. Seul l’éclat de la lune est traité avec des empâtements par de petites touches circulaires, si caractéristiques de l’artiste.
La gamme chromatique du Puigaudeau, très souvent dominée par les tons mauves lui fut peut-être inspirée par la série des Cathédrales de Rouen réalisée par Monet entre 1892 et 1894. Plusieurs toiles, notamment celles du musée Goulandris d’Athènes, ou du musée d’Essen, ne sont pas sans rappeler notre tableau tant par leur palette que par leur traitement.
Nous remercions monsieur Antoine Laurentin de nous avoir confirmé que cette œuvre serait incluse dans son tome II du Catalogue Raisonné des œuvres de Ferdinand du Puigaudeau, à paraître en novembre 2023.
Biographie : Descendant d’une famille d’armateurs nantais, Ferdinand du Puygaudeau fit des études classiques avant de se tourner vers la peinture. Il partit alors en Italie puis en Tunisie. En 1886, il fit à Pont-Aven la rencontre de Paul Gauguin et d’Emile Bernard, assistant alors aux prémices de la future célèbre Ecole de Pont-Aven. Si le jeune artiste devait accompagner Gauguin au Panama, l’obligation du service militaire l’en empêcha malheureusement. Quelques années plus tard, en 1889, il partit pour la Belgique, où il se lia avec le Groupe des XX, et tout particulièrement Jan Toorop et James Ensor. Du Puygaudeau exposa pour la première fois au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts en 1890. La nouvelle esthétique créée par l’Ecole de Pont-Aven fut décisive sur l’évolution de son oeuvre, bien qu’il soit resté marqué par l’exemple des impressionnistes. Passionné par les effets de lumière, il exécuta de nombreuses nocturnes, et partit pour Venise, où il travailla sur le rendu de l’eau et de ses reflets. Tout comme Henry Moret, il signa un accord avec la galerie Durand-Ruel, qui cherchait alors à susciter une nouvelle génération d’impressionnistes. Un désaccord survint malheureusement dès 1900, mettant fin à leur contrat. En 1907, il s’installa au Croisic, au manoir de Kervaudu, où il réunit fréquemment ses amis, parmi lesquels le peintre Jean-Emile Laboureur, ou encore le poète José-Maria de Heredia.Il resta en Bretagne jusqu’à sa mort, en 1930, exécutant de nombreux paysages de la Brière et de la presqu’île guérandaise, très personnels, éclatants de couleur, oscillant entre pointillisme et divisionnisme.